D’Asia argento, on avait pu apprécier le précédent film, Scarlet diva, avant de se rendre compte qu’il n’était rien de plus qu’un beau film de chef-opérateur boosté par l’énergie d’enfant gâtée / détraquée de sa réalisatrice. Chez les Argento, c’est un peu comme chez les De Caunes en France : fifils ou fifille ont à peine décidé de s’improviser cinéastes que papa Noël a déjà mis une belle caméra dans la chaussette, juste sous le sapin. Le résultat est identiquement pathétique. Peut-être pire quand même pour la seconde, tant le cinéma, pour un Antoine De Caunes, demeure ce gros jouet très cher qui ne prétend à rien d’autre qu’une sorte de neutralité bourgeoise. Pour Asia, c’est différent : l’actrice a pu construire une image de pouf’ destroy au gré de ses apparitions dans divers nanars arty (le sympathique New Rose Hotel) ou décadents (Fast and furious 2 chez Bruckheimer) pour en tirer l’illusion d’être une artiste.
Comme Monsieur N pour De Caunes (silence pudique), le second film sonne l’heure des comptes pour Asia. Heure de la démesure : Le Livre de Jeremie est l’adaptation d’un roman culte de J.T. Leroy, histoire d’une mère grave délire qui récupère son fils pour l’entraîner dans un cauchemar underground très sexe, très drogue, très rock’n roll. Heure du crash, surtout : plus rien ici ne fait illusion, tant la formule tourne à demi-régime, loin de l’ivresse des débuts, pour tenter d’approcher gravité et sérieux, l’air de rien, en se refusant par exemple aux nombreuses ruptures et convulsions de Scarlet diva. L’épure et la simplicité de l’intrigue permettent de voir ce qui, derrière le folklore (tout ce qui n’appartient pas à la cinéaste : l’univers de Leroy), résiste et persiste en matière de cinéma. Réponse : absolument rien, sinon dix premières minutes assez touchantes, le reste relevant de l’imagerie (le jeune ado au look de Kurt Cobain junior, l’empilage de séquences d’une platitude inouïe). Cette fadeur désespérée, qui ailleurs aurait pu prétendre à l’art, est immédiatement contredite par l’académisme du découpage, la grossièreté des vignettes (même pas vulgaires), l’absence totale de distance mal compensée par une volonté constante d’en faire trop (par exemple, tout filmer à hauteur de cuisses, de fesses ou de sexe).
La pauvreté de cet imaginaire est incapable de susciter la moindre nausée, la moindre tendresse, la moindre émotion. Pas un problème en soi, mais celui précisément d’un film où tout, justement, s’établit hors de la pensée, dans une toute-puissance du sensible, du cru et de la provoc’ discount. Prendre un ado de chez Gus Van Sant pour tenir le rôle du film : belle idée, qui pourtant n’en reste qu’à sa caricature, tant l’espace, la force du lieu, le cadre traversent chez GVS chaque pore des acteurs quand celui-ci ne rencontre à aucun instant le no man’s land où on le plonge. Le résultat est mou comme une chique, intelligent comme une cloche d’étain, aussi profond qu’une carte postale Nirvana achetée dans une boutique des Halles. Pas même l’aspérité rêche d’un ovni raté, le charme rebelle d’un affreux nanar : juste un océan de médiocrité.