Un homme debout face à la fenêtre, baigné par la lumière d’un matin ensoleillé : contrastant violemment avec le titre de l’ouvrage, l’illustration de couverture choisie pour l’édition française de Dans la prison résume pourtant à merveille une dépiction sereine et anti-dramatique au possible de l’univers carcéral, à des années-lumière des clichés du « film de prison » ou des premiers chapitres de Coq de combat de Hasimoto et Tanaka. Un livre qui témoigne à nouveau des efforts d’Ego Comme X -le bouillant éditeur angoumoisin du Journal de Fabrice Neaud- pour présenter en France quelques grands noms méconnus de la BD japonaise, après L’Homme sans talent de Yoshiharu Tsuge.
Dans la prison offre d’ailleurs certaines similitudes avec le chef-d’oeuvre de Tsuge : même inspiration autobiographique, même volonté de la part de deux auteurs mythiques et réputés misanthropes de vivre en marge. Cependant, si cette rupture est pour « l’homme sans talent » liée à un choix délibéré -plus ou moins assumé néanmoins-, elle est ici subie par le personnage, mais beaucoup mieux vécue : Kazuichi Hanawa a en effet bel et bien été condamné à plusieurs années de prison en 1995, pour détention illégale d’armes à feu, son Violon d’Ingres. Pourquoi s’en faire ? Tel semble être la posture de l’auteur, que seule l’interdiction de fumer dans sa cellule semble vraiment affecter. Pour le reste, Hanawa fait contre mauvaise fortune bon coeur, et semble même tirer un lancinant plaisir de cette situation : quoi de mieux pour la paix de l’âme qu’une vie bien réglée, des travaux manuels simples et répétitifs, une alimentation saine et abondante ?
Derrière ce discours à contre-courant des représentations habituelles, on décèle pourtant en filigrane la violence sous-jacente et déshumanisante de l’univers carcéral. Dans cette prison incroyablement vétuste, hors du temps, les règles s’appliquent effectivement avec une rigueur stupéfiante : chaque geste du prisonnier semble s’inscrire dans un protocole immémorial, et dont la moindre entorse, plus petite soit-elle, est sévèrement réprimée par des gardiens à la perception quasi-surnaturelle. Comment Hanawa a-t-il pu s’y résoudre ? Paradoxalement, le mangaka semble trouver ici un répit bienvenu face aux difficultés matérielles inhérentes à la vie d’un auteur de BD alternative au Japon. Troublant.