Tourné il y a trois ans, co-produit par une demi-douzaine de pays, Nous étions libres représente une certaine tendance du cinéma populaire actuel, fait de mélo survolté, de starlettes pâlichonnes mais néanmoins doté d’une maîtrise technique non négligeable. Une sorte de roman Arlequin filmique, évidemment périssable, souvent risible, mais habité par une force, une naïveté qui lui permet de boucler ses 2h10 sans grand mal. Réalisateur australien au parcours sans vagues, John Duigan n’est peut-être pas Howard Hawks, mais il fait preuve de solides qualités de conteur et d’une dévotion presque touchante pour son intrigue. Dès l’ouverture, entrée archi-théâtrale d’une Charlize Theron délurée dans la chambre de bonne du timide Stuart Townsend, le décor est dressé. Le film se risque à l’émerveillement des froufrous des costumes et au cabotinage télévisuel des acteurs.
Ça peut faire très peur, d’autant que le scénario suit son cours prévisible de grande odyssée romantique, où Barbie Theron et Ken Townsend s’embrassent passionnément, le déguisement Années Folles au vent, surfant d’une fresque historique à l’autre. Sauf que Duigan n’est pas aussi benêt qu’il en a l’air. C’est même parfaitement conscient de ce qu’il filme qu’il tire si habilement les ficelles du genre. Improbable mélange d’Angelique Marquise des Anges, de Jules et Jim et d’un Docteur Javigo communiste, l’intrigue aborde le sulfureux avec une légèreté vivifiante. Après que Pénélope Cruz, infirmière strip-teaseuse et bisexuelle, rejoint le couple dans ses ébats amoureux, Townsend quitte Paris pour rejoindre le front de la guerre d’Espagne, alors que Theron le trompe joyeusement pour oublier son absence. Et Duigan d’enregistrer tout ça comme si c’était du Barbara Cartland, presque sagement, sans une once de moralisme.
Idem pour son travail de reconstitution, très discount mais ingénieux. Le cinéaste compose ses plans comme il les monte : très vite, mais avec une science du détail qui insuffle à l’ensemble une souplesse de vieux routier. La mécanique n’est pourtant ni ronronnante ni même impressionnante, tant chaque plan frise le kitch à la Roger Corman. Les scènes à Montmartre ou sur les quais de Seine constituent presque un suspens à elles-seules, tant Duigan a cadré serré pour laisser hors-champs toute trace de modernité. Il s’émane une dichotomie étrange entre le souffle épique dicté par le scénario et les remontés triviales d’un effet numérique foireux ou d’un dialogue mal joué. On a beau voir d’ici les mauvaises langues réduire Nous étions libres à une version Canada Dry du Patient anglais, impossible cependant d’en vouloir à John Duigan, assurément l’un des intermittents du cinéma bis les plus débrouillards et sympathiques du moment.