Film choral autour de la ville de Tanger, retrouvailles d’un premier amour jamais éteint, quête du lieu comme de son être intime, le dernier André Téchiné est un objet hybride qui consacre la fusion de deux tendances de son cinéma : une veine virtuose à l’architecture complexe, l’organisation du récit en grandes lignes qui se croisent, et une veine plus documentaire, pauvre et brute. De ce point de vue, l’arrivée de Julien Hirsh, le chef opérateur de Godard et d’Arnaud des Pallières, participe d’un renouveau intriguant. On sent bien que Téchiné a souhaité s’éloigner autant que possible du chromo touristique, si bien que dans cette image granuleuse et râpeuse les tons froids dominent là où pourtant le soleil irradie. De même, si cette tendance à la caméra tremblante qui inonde le cinéma français (chez Patrice Chéreau, Arnaud Desplechin, ou Olivier Assayas, sous la houlette de Eric Gautier) est non seulement un académisme mais aussi un artifice (car rien ne justifie cette tremblante), elle prend ici une tournure presque expérimentale et décalée.
Pas question ici de mimer la fébrilité, plutôt trouver une forme contemporaine qui sied à un renouvellement d’inspiration chez le cinéaste (second film à Tanger après Loin). Téchiné cherche manifestement un renouvellement stylistique tout en maintenant fidèlement ses obsessions et ses thèmes, ce qui est toujours une bonne nouvelle pour un cinéaste. Pourtant la greffe ne prend pas toujours. Entre le romanesque romantique d’un côté et ses tentatives pour se libérer des contraintes physiques (caméra portée, incertitude du cadre), existe comme une dissociation, deux univers qui se cognent l’un à l’autre. Cette question de l’hybridité est d’ailleurs au cœur du projet (deux cultures, deux sexualités), qui organise la rencontre de la continuité et de la rupture (dans les histoires d’amour), du même et de l’autre, du passé et du présent. Cette fascination pour les zones de transit (Tanger), les périodes de transition (chez lui les personnages sont toujours en mouvement, intellectuel et sentimental s’entend) en dit long sur le désir du cinéaste de se colleter à la nouveauté et à l’hétérogène.
Ce petit peuple téchinéen disparate (une communauté improbable d’individualités solitaires) s’il n’autorise pas toujours à croire en lui (souvent ce même sentiment que, chez le cinéaste, tout est un peu trop joué, trop idéel pour être vrai), finit quand même par être touchant, voir par endroits bouleversant. Depardieu en particulier semble retrouver une vigueur, sachant enfin que faire de ce grand corps pataud et mélancolique après une série de films où il avait l’air de sa propre caricature (dernier en date, l’horrible 36, quai des orfèvres). En somme un Téchiné qui n’est pas tout à fait le chef-d’oeuvre annoncé mais qui, tout en creusant le sillon thématique du cinéaste, est attiré par un ailleurs régénérant.