Il faut bien que l’on s’enthousiasme, qu’il est insolent qu’il est fou, quelle liberté que la sienne, et son talent et ses plaisirs : c’est un libertin. Tout est dans le titre, le film et son programme. Johnny Depp incarne le comte de Rochester, deuxième du nom, vénéneux esprit libre, ami de Charles II. Le programme du film est dans son titre, puisqu’il s’agit du dernier des libertins, donc le plus libertin de tous les libertins de la galaxie, il faut se laisser épater, écraser par lui. Laurence Dunmore, inconnu au bataillon mais à qui l’on prête la réalisation de quelques spots pour Peugeot, ne s’emploie qu’à cela durant la première partie du film. Tout y est prétexte à maximes. Se bousculent dans le cadre des personnages témoins, tout juste réquisitionnés pour recueillir les faits et gestes de Rochester, et le film n’est que collection, guère passionnante sinon sentencieuse à l’image du pompeux prologue suggérant que Rochester est quasiment le diable incarné. Dès qu’intervient un embrayeur de fiction -la rencontre avec une actrice aphone qu’il se promet de transformer en coqueluche du tout-Londres-, tout se brouille. Les motivations du personnages deviennent floues (un étrange pacte, pas très clair se noue entre eux deux : pas de love story), de même que les intrigues secondaires, politiques essentiellement (la virevolte finale du comte, qui tient quand même à faire amende honorable à son roi). Scénario claudiquant, qui patine complètement dans sa deuxième partie.
L’origine de toutes ces boiteries est simple : jamais le cinéaste ne sait résoudre et mettre en scène la question du libertinage. D’un côté il sait bien que le libertin façon XVIIe est un ami de la raison, qu’il ne croit qu’à une chose, comme Dom Juan, « que 2 et 2 font 4 et 4 et 4 font 8 » ; de l’autre cette froideur ne lui plait guère, lui semble incompatible avec l’usage des plaisirs. D’un côté le véritable contenu du libertinage en tant que doctrine philosophique (un rationalisme athée), de l’autre sa traduction funky (un queutardisme effréné). Entre la chair et la raison, Rochester choisit vite le plus cool des deux. Et rattrape tant bien que mal son coup, en deux répliques, histoire de montrer qu’il maîtrise son sujet.
Reste le pari technologique du film, donner dans le biopic costumé en DV. Plus exactement, montrer que le numérique peut embrasser du champ : double panoramique (720°) dans une salle de théâtre ; perspective tracé le long d’un chemin boueux menant au château. La tentative est intéressante, dommage que l’image charge les obscurs, comme pour souligner à gros traits la noirceur du personnage et de son temps. En Rochester, Johnny Depp notre idole fait son boulot, mais on l’a connu en meilleure forme. Pour une perruque délicieusement de travers, pour un haussement de sourcils, tout le reste : chacune de ses transformations à mesure qu’il vieillit et tombe malade et défiguré est amenée par la mise en scène comme un spectacle qui bouffe tout l’écran -performance, vilain maître-mot du genre, qui paraphrase sans cesse l’action. Prothèse sur peau, matière sur matière, tautologie bien sûr.