A strictement parler, tout est dans le titre : Western n’est rien d’autre qu’un western et, à la limite, ambitionne presque d’être le western, c’est-à-dire d’être rempli de tout ce qui fait le western en général, avec ses codes, ses rites, ses personnages fétiches, bref, ses clichés. De ce point de vue, le roman de Christine Montalbetti est doté de toute l’équipement nécessaire : un héros trentenaire au regard mystérieux avec une chemise à carreaux, une petite bourgade de l’Ouest (« Transition City »), un ranch, un saloon, des bottes de cow-boy, un sol poussiéreux, un Smith & Wesson chargé, une sieste en début d’après-midi lorsque le soleil cogne et l’indispensable duel armé après quoi le héros peut s’en aller nonchalamment vers le soleil couchant. Rassemblez ces ingrédients et confiez-en la liste à Sergio Leone, il aura tout ce dont il a besoin pour tourner un film. Confiez la même liste à Christine Montalbetti, vous obtiendrez une sorte de pastiche déroutant où chaque situation est grossie à la loupe, observée au microscope, analysée avec une patience de statisticien et prise légèrement de côté, comme s’il était à la fois trop simple et pas assez drôle de la regarder en face. Spécialiste de théorie littéraire et grande connaisseuse de l’œuvre de Gérard Genette, Christine Montalbetti relit avec humour un genre canonique, le western, en le passant au tamis des tortures qu’ont justement fait subir à un autre genre canonique, le roman, les expérimentations et subversions du dernier demi-siècle. Résultat : Western est un western sans vraiment en être un, tous les motifs classiques y étant envisagés comme points d’appui pour des variations étranges et libertaires avec lesquelles la romancière tourne autour de son sujet, le retourne, le regarde de dos et s’amuse à le bousculer.
Il y a quelque chose de très cinématographique dans la manière dont elle promène sa caméra dans un décor dont elle a soigneusement arrangé chaque élément, arrêtant son objectif sur les détails les plus loufoques. Au lieu de raconter les bagarres ou les beuveries habituelles, elle préfère s’accorder des pages entières pour décrire la calme expédition d’une colonne de fourmis sur la botte du héros ; au lieu de dire qu’il fait sombre dans le saloon enfumé où se réunit la racaille de la ville, elle écrit posément qu’ »entrer dans un saloon vous dote aussitôt des capacités optiques du plus aigu des drosophiles ». Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Christine Montalbetti joue à multiplier à l’excès les cartes du jeu, donnant à ce genre presque simpliste qu’est le western-spaghetti une grammaire et un vocabulaire tout neufs, absurdement sophistiqués et délicieusement humoristiques, comme s’il fallait mobiliser tous les trésors de la rhétorique française pour raconter une comptine. Elle n’oublie bien sûr pas d’ôter au passage quelques briques au mur qui sépare habituellement les spectateurs de l’écran, interpellant sans cesse le lecteur et s’invitant gaiement dans son propre texte à titre de consultante de luxe. La densité de ses jeux avec la règle signe à la fois l’originalité et la limite du livre : difficile de ne pas se perdre dans les méandres d’une narration dont la complexité et la bizarrerie apparaissent parfois comme des fins en soi, au risque de n’être plus qu’un voile ludique sur une coquille vide et, au final, lassante. Le héros, lui, se dirige tranquillement vers le happy-end nostalgique de rigueur dans tout western qui se respecte : il récupère son canasson et « s’éloigne vers le couchant », comme la loi l’exige. « En un tranquille respect des lois de la perspective », précise d’ailleurs l’auteur dans une ultime pirouette. Lois qu’elle aura pour sa part parfaitement respectées (le B.A. BA du western est là) tout en les bafouant autant qu’elle a pu (l’arsenal de l’expérimentation littéraire y est aussi). Le sheriff tirera peut-être la gueule, mais l’amateur de littérature devrait tout de même y trouver son compte.