D’Olmi, on a pas oublié le récent Métier des armes et son étrange équilibre entre poids du film en costumes et fulgurances d’une mise en scène à l’exceptionnelle simplicité. En chantant derrière les paravents vient confirmer ce paradoxe de jeunesse et de maturité, de grandeur et de modestie qui constitue le cinéma d’Olmi depuis son retour au début des années 2000. La dualité atteint ici son paroxysme : d’un côté Bud Spencer, revenu d’on ne sait où en vieux capitaine nous comptant les aventures de la veuve Ching, monstre sacré de la piraterie chinoise du XIXe siècle. De l’autre, un opéra aux limites de l’opérette, succession de visions plus ou moins folles et baroques, allers-retours incessants entre scène et cinéma.
Le film ne ressemble à rien de connu, se déployant comme un labyrinthe d’images exotiques, naviguant à vue dans les lointaines contrées de l’Extrême-Orient. L’ensemble tient sur un fil, celui du récit historique, qui se raidit, plie, casse ou se détend au rythme des pérégrinations maritimes de son héroïne. Sorte d’embarcation délirante, En chantant derrière les paravents doit moins à ses ambitions un peu figées (exotisme sous-tendu par un discours bienveillant et pacifique) qu’à cette perpétuelle recherche de perspectives qui nourrit chacun de ses plans. L’aspect théâtral et bidimensionnel de la scène et des vignettes déployées ici trouve toujours une issue pour se renverser en fantaisie aérienne : largeur et profondeurs inespérées du cadre (les cerfs-volants à la fin), photographie ciselant ombres et décors, folie des caractères et grandeur des batailles navales qui menacent chaque horizon.
Cette perpétuelle réouverture des limites du cadre et du spectacle, pont lancé entre théâtre et cinéma, scène et image (Olmi a mis en scène de nombreux opéras dans les années 90) fait la beauté d’En chantant derrière les paravents. Mélange de bricolage artisanal et de maestria dans le découpage ou les compositions plastiques, un tel film prend à chaque instant le risque de sombrer dans la mascarade carnavalesque. Chaque détail triomphe au prix d’un extraordinaire jeu d’équilibriste : pirates chinois qui parlent Italien (ce sont vraiment leurs voix, tous les acteurs vivent en Italie), vieux pirate à la fois narrateur et acteur (Bud Spencer est énorme en gros ours passif), etc. Tout le film repose sur un jeu de passe-passe entre vrai et faux, actif et inactif, raideur et souplesse : le cinéma d’Olmi bouillonne entre sagesse et éternelle jeunesse.