Konami n’a pas compris que Silent Hill 2 devait rester unique -sur cette génération de consoles, ne soyons pas trop talibans. Tant pis pour lui. L’éditeur paie désormais les pots cassés et chie littéralement du Silent Hill, comme Cloaca, la fameuse machine à caca qui fait la joie des amateurs d’art contemporain. Ce n’est pas un hasard si la Silent Team a choisi de coincer Henry, le héros du quatrième épisode de la série, dans un environnement clos, prolongeant son obsession maladive pour la claustrophobie… épicée d’une attirance légère et perverse pour le voyeurisme, empruntée au James Stewart mateur de Fenêtre sur cour. Cet appartement banal, un peu morne, à peine inquiétant, aux issues condamnées, ce n’est pas celui du joueur, trop habitué au cocooning intensif pour s’angoisser à l’idée d’être enfermé dans son salon… C’est celui de la Silent Team, prise au piège de sa prison créative, feuilletant mollement son album de photos souvenirs à chaque fois que Henry, bellâtre crasseux et détaché, s’engouffre dans le trou béant qui défigure sa salle de bain.
Temps mort : au bout de cinq heures d’allers-retours entre l’appartement et des environnements insalubres de qualité inégale, les illusions se sont envolées. L’idée kamikaze du trois-pièces-cuisine condamné et évolutif est sous-exploitée, la Silent Team ne sachant pas trop où l’amener. Ni véritable espace vidéoludique, ni point de départ d’une progression et d’une narration concentriques, juste un save-point de luxe. On frétille d’enthousiasme à l’idée de ce qu’un game-designer un tant soit peu audacieux aurait pu tirer d’une scénographie aussi minimaliste. Kojima, par exemple… Vingt-cinq heures de monologue digressif sur le temps qu’il fait, le chien de la concierge et la hausse des prix, une bonne quinzaine de cinématiques au ralenti sur l’ouverture de la porte du frigo et un climax philosophico-brumeux final à niveaux de lecture multiples sur le thème de « sors un peu de chez toi, gamer ! ». Passionnant… Mais totalement hors de portée des ambitions de la Silent Team qui parvient tout juste à créer chez le joueur un sentiment de paranoïa progressive, au fur et à mesure que l’horreur s’infiltre comme un cancer dans les moindres recoins de l’appartement.
Tiens, qu’est-ce qui faisait de Silent Hill 2 une oeuvre si unique ? Deux choses, entre autres : la rythmique de jeu en deux temps, tour à tour frénétique ou lancinante, et la nature des créatures dont l’apparente fragilité, si humaine et inhumaine à la fois renforçait l’impression de malaise chaque fois qu’on était amené à les croiser -et à les tabasser sauvagement. Souvenez-vous, cette longue traversée du lac en barque, juste avant le dernier niveau de Silent Hill 2. C’était interminable, harassant. Impossible de discerner l’autre rive, masquée par un brouillard impénétrable. A tel point qu’on finissait par douter, par se demander s’il y avait bien une autre rive… Fallait-il qu’on fasse terriblement confiance aux créateurs de Silent Hill, à l’époque, pour imaginer un seul instant qu’ils aient pu terminer leur jeu sur une balade nautique sans fin. Aujourd’hui, on ne se laisserait plus avoir. L’habitude, peut-être, l’essoufflement créatif de la Silent Team, sûrement, particulièrement visible dans la tristement célèbre deuxième partie de Silent Hill 4 qui contraint le joueur à se retaper la quasi-totalité des niveaux déjà visités en compagnie d’une éclopée complètement idiote. Un rythme frénétique, plus de répit, une pression constante imposée par d’indestructibles fantômes qui vous collent au train, le jeu s’asphyxie jusqu’à franchir les limites du supportable. Ils sont pourtant magnifiques, ces fantômes : clones gracieux de Sadako, torches humaines en suspension. Mais ils sont trop puissants, leur invulnérabilité les prive de l’indispensable part d’humanité qui pourrait les rendre pathétiques, dérangeants, angoissants. A l’instar des invincibles Shibito de Forbidden siren, les fantômes de Silent Hill 4 confinent à l’abstraction. Font-ils peur ? Non. Ils sont juste nuisibles. Et c’est le jeu tout entier qui s’en trouve déséquilibré.
Ni l’esthétique délétère, ni le scénario torturé ne parviendront à sauver Silent Hill 4 de la noyade. Il faut arrêter avec ça, ça ne suffit plus. Et non, Silent Hill 2 n’était pas qu’un tour de force narratif, c’était bien plus que ça. Un jeu qui questionnait le joueur sur ses propres limites, sa résistance à l’angoisse, sa patience, sa logique. De son côté, Silent Hill 4 n’est qu’un musée des horreurs poussiéreux et rébarbatif, une machine à fric pleine de bonnes intentions qui grippe au démarrage et explose à mi-parcours. Ses créateurs peuvent bien rester coincés dans leur bulle symbolisée par cette cellule-F3 qui pourrit de l’intérieur, avec leurs cauchemars à la petite semaine et leur incapacité à se renouveler. Bien trop occupé à saliver devant les images du prochain Resident evil, on ne prendra même plus la peine de leur indiquer la sortie.