Pour le mini-wonder boy Greg Marcks, 11h14 c’est un peu son « Minuit l’heure du crime », balise horrifique de notre enfance dont le pouvoir de suggestion cernait immédiatement le ton de l’intrigue et ses limites. Même esprit pour ce film, qui annonce ses intentions dès le générique. Le casting défile sur l’asphalte, semblable à une course de stock-car nocturne. C’est un film de voiture qui se passe la nuit. Puis d’Hilary Swank à Patrick Swayze en passant par Barbara Hershey, pas de doute, on renifle vite la série B, quelque part entre Donnie Darko pour sa condition de film-CV sans le sou et 21 grammes, pour son côté film-chiffre, film-concept et articulé. Déductions faciles : lumière sombre = 11h14 du soir et non du matin, l’instant T où chacun se télescopera en bonne et due forme.
Si Greg Marcks ne semble pas franchement en convenir, tant il s’acharne à boulonner le temps et entrecroiser ses personnages avec une ardeur dérisoire, le principe de tic-tac scénaristique présente peu d’intérêt. Assurément client du dispositif pour faire plus cinéma, le film, évidemment, en pâtit. Sclérosé de l’intérieur, englué dans une virtuosité étriquée, il donne la sensation d’une commande morte dans l’oeuf. Cependant, Marcks a d’autres ressources et insuffle à son mécanisme un supplément d’ambition. Sa vision de la banlieue, réduite au pur concept, fait mouche. Des ringards -des vrais de vrai-, trois pâtés de maison perdus dans une noirceur mi-fantastique (la nature n’est jamais loin, des cerfs aux sous-bois) mi-aseptisée (lumière violente des réverbères), une route nationale et un vieux pick-up, le cinéaste incarne le décor avec une facilité redoutable, tirant des plans une profusion remarquable d’informations sociologiques.
Il y a une telle justesse dans cette chronique du no future pavillonnaire, que le film trouve très vite une carnation très particulière, faite de cynisme, de désenchantement pur et de grand-guignol boutonneux. Il suffit à Marcks de forcer le trait sur un costume ou une attitude pour affiner l’interprétation de ses acteurs. On pense à l’excellente Rachel Leigh Cook, impayable en starlette de banlieue sur-maquillée et triste à mourir, chaînon marquant de ce fatras de mauvais thrillers et de chroniques jouissives d’un monde morose. Les mauvaises langues réduiront bien sûr 11h14 à un After hours de poubelle. Qu’importe : vu son armature horlogère, il est déjà miraculeux que ce micro-film dépasse la simple course contre la montre.