Attention, ce livre est un monument. Plus qu’un roman à thèse : un véritable ouvrage de propagande anti-occidentale. Ces 620 pages mal dégrossies font songer à Martin Winckler : même goût pour le roman-foutoir déployant un bordel indigeste d’intrigues, de thèmes, de personnages et de points de vue, même tentative désespérée de complexifier une vision du monde pourtant définitivement basique. Le scénario, débile (une sorte de secte internationale, l’Afrorésistance, tente de créer des Etats-Unis d’Afrique idylliques tout en étant menacée par l’Etat français, foncièrement anti-Noir), aurait pu rester un innocent exercice d’auto-flagellation sous dreadlocks ; le problème est qu’il développe en filigrane un racialisme ahurissant, tel qu’on n’en avait pas vu dans la littérature française depuis les années 1930. Cespedes propose tout simplement le négatif exact du racialisme nazi : dans sa pyramide des races, l’Übermensch, c’est le Noir. Dans le livre, il est immanquablement beau, musculeux, baisant comme un dieu, sage, bon et héroïque, bref, paré de tous les attributs de l’homme supérieur et dominateur, physiquement, intellectuellement et moralement. Comparé au Blanc, dit un personnage, « on a les couilles mieux accrochées, on fait mieux jouir leurs femmes, on bande plus dur ». Conclusion : « avec quelques centimètres cube de bite en moins, on aurait jamais subi toute cette violence ». Vague thèse nietzschéenne exposant le ressentiment du faible Blanc contre l’Übermensch noir. Sauf que selon Cespedes, de même que Petrucciani et Eminem ne sont que des « impostures blanches », Nietzsche se réduit à un « facho », un « impuissant de droite, maladif et asocial ». Et fatalement, dans Maraboutés, toutes les femmes blanches, sans exception, délaissent leurs minables maris blancs pour ces sublimes mâles noirs.
On aura compris, la théorie sous-jacente à tout le roman est grosso modo la suivante : seules de grosses bites noires peuvent encore régénérer cette vieille race décrépite et névrosée qui est la nôtre. Le Jaune, quant à lui, est à peine au-dessus du Blanc : trop capitaliste (« il incarnait l’asiatique cynique et sans pitié »). Quant à l’Arabe, il reste en dessous du Noir (encore trop blanc, sans doute, et sacrément esclavagiste par ailleurs). Cette véritable théorie des races s’articule sur une espèce de discours eugéniste fondé sur le métissage. Ainsi l’un des personnages est-il qualifié de « fin de race » parce que sa famille y a rechigné, sa copine s’empressant de se faire prendre par le premier videur black qu’elle croise pour rattraper le coup. Il est par ailleurs impossible de relever toutes les inepties qui criblent le texte. Quelques exemples, malgré tout : Vincent Cespedes affirme qu’ »aucun des évangélistes ne connut Jésus et ne fut par conséquent le témoin oculaire de ce qu’il racontait » (faux : Matthieu et Jean le furent, ce qui fait tout de même deux sur quatre) ; dans son roman, les flics sont tous des fascistes, mais les mafieux anti-Blancs du MÄT qui massacrent allègrement n’en sont pas ; selon l’Afrorésistance, les Grecs n’ont pas inventé l’Occident mais se sont contentés de pomper les Egyptiens, lesquels étaient eux-mêmes des « Africains négroïdes » (en résumé : » la Civilisation est intégralement nègre « ) ; le nez du Sphinx serait jalousement gardé à Londres par des historiens blancs qui ne veulent surtout pas que sa forme épatée puisse prouver le type négroïde des anciens Egyptiens (bien que les masques mortuaires des pharaons, visibles par tous, aient le nez plutôt busqué : sans doute une manipulation de la CIA) ; l’Afrorésistance s’appuie enfin sur une sorte d’éthique que Cespedes semble nourrir de théories post-reichiennes, aussi peu africanistes que possible, plutôt que de la vraie spiritualité magique et tellurique des peuples noirs…
S’ajoute à tout cela une psychologie amoureuse et un érotisme standardisé à peine dignes d’un film porno industriel et, surtout, une langue parfaitement lamentable : vocabulaire défaillant (« consumation » utilisé en lieu et place de « consomption », pages 79 et 140), fautes d’accord (« Un groupe de jeunes musiciens reconnurent Amara »), manie grotesque de supprimer les traits d’union… Sans doute est-ce la manière qu’a Cespedes de combattre l’impérialisme de la langue de Racine (qui, chez lui, devient bien sûr celle de Dumas). On pourrait continuer encore longtemps : on aura compris que cet hymne à l’Afrique aurait probablement été plus réussi sous la plume d’un Africain authentique que sous celle de ce « toubab » honteux, qui n’est en fin de compte qu’un bon vieux nihiliste occidental. L’Afrique fantasmée de Vincent Cespedes est avant tout le négatif d’un Occident abhorré : un simple prétexte idéologique, en somme. Fantasme et paranoïa aiguës, racialisme systématique, démonstrations subjectives totalisantes et délirantes sous-tendues par un sadomasochisme virulent, fascination pour la puissance physique et sexualisation outrancière des êtres et des théories : Vincent Cespedes, malgré tous ses efforts, n’est qu’un fasciste inverti. Ce n’est pas la haine de soi qui mène à l’amour de l’autre. Et ça, c’est très nietzschéen.