A travers les temples aztèques, les bunkers teutons et les vaisseaux aliens, Rick Dangerous avançait un peu et mourait beaucoup. Certes, il était beau, il était bon, il sentait bon le pixel chaud, mais les faits sont là : Rick Dangerous passait son temps à crever. Alors si l’époque comme le peuple appelle au couronnement rétroactif de ses artefacts rétro, qu’ils aient au moins la décence de laisser Rick dans son tombeau. Même émulé, sous poke, avec vies infinies, la thanatopraxie ne peut plus rien pour lui. Oui, la faute, la très grande faute de Rick, ce gouffre qui le sépare de notre nouvel ami, Mario vs Donkey Kong, c’est d’avoir fait passer la charrue avant les boeufs pour s’adresser à notre mémoire plutôt qu’à nos yeux. Le Die & Retry est une perversion excusable lorsqu’on nous laisse une chance, si infime soit-elle, de s’en sortir du premier coup. Rick, tu fus la dystopie faite jump. Repose en paix, vile crapule. Le puzzle-plateformer s’est trouvé un nouvel ambassadeur.
Comme Wario ware, Mario vs. Donkey Kong est un petit manifeste structuraliste, à la différence qu’il s’attaque cette-fois au jeu de plates-formes. Les passages les plus corsés de l’histoire du genre ont été recensés, isolés, puis indexés à travers les neuf mondes de MvDK, bibliothèque totale des putains de gouffre, des saloperies de piques et des bordels de monstres à la con qui vous pourrissent le karma depuis Pitfall. Son scénario cache-misère et mougeottesque, une auto-critique du phénomène Pokemon ou Donkey, le cerveau lessivé par les publicités Nintendo, entreprend de dérober des poupées Mario, est avant tout fonctionnel, puisqu’on délaisse ici le « plateformer-monde » pour replonger dans les racines du « plateformer à tableaux ». Chaque niveau voit s’enchaîner trois séquences immuables : en premier lieu, il vous faudra récupérer la clé pour ouvrir la porte vers le tableau suivant et y récupérer l’un des goodies dérobés par le primate. Une fois toutes les poupées d’un monde en votre possession, vous devrez les mener vers la sortie dans une phase à la Krusty’s fun house, pour enfin défier Donkey dans une joute de pure plates-formes. Et ainsi de suite, jusqu’au générique de fin.
Chaque tableau débute par la présentation de l’outil nécessaire à sa résolution : qu’il s’agisse d’un mouvement, d’un élément de décor ou d’un mécanisme, l’univers foisonnant de MvDK est en perpétuel renouvellement. Résolument didactique, le titre bénéficie d’une marge de progression parfaite et interdit toute lassitude. Là où Prince of Persia : The Sands of time grillait toutes ses cartouches en deux heures pour laisser ensuite le joueur répéter ses gammes dans une belle citadelle d’ennui, le titre de Nintendo se sirote avec délectation. En soi, le jeu n’est pas très difficile et la « quête principale » ne résistera pas longtemps aux assauts des obsédés du « thank you for playing », mais c’est surtout son système de score qui vous agrippe. MvDK s’autorise en effet une jouabilité à deux vitesses : il existe une route, une seule, qui permette de terminer un niveau en obtenant l’étoile, la récompense suprême.
Tout devient alors affaire de trajectoire et vos itinéraires patauds devront faire les frais d’un sévère dégraissage : chaque saut, chaque aller-retour inutile est à proscrire pour le joueur sérieux. Passées les joies de l’exploration à grande vitesse, MvDK impose au joueur le temps de la réflexion. Comment gagner quelques précieuses secondes pour atteindre le but ? Dois-je emprunter cette plate-forme ou foncer directement jusqu’au tapis roulant ? Autant de questions auxquelles vous pouvez répondre sans même avoir à bouger Mario. Tout est là, limpide, dans le petit écran de la GBA : il ne reste plus qu’à réfléchir, anticiper, optimiser… Et la gymnastique mentale qui vous voit élaborer de nouveaux chemins en quête de performance s’avère tout aussi intéressante que leur exécution.
Les dalles piégées de Rick Dangerous ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Avec beaucoup d’astuce et un peu de dextérité, MvDK laisse apparaître un monde où le Die & Retry n’est plus une fatalité. Apprentissage, observation, exécution : trois mamelles pour un design limpide. Et la certitude d’avoir découvert le Bescherelles du jeu de plate-forme.