A la fin du siècle dernier, Zhang Yimou était répertorié dans les dictionnaires de cinéma comme un des réalisateurs officiels chinois, récipiendaire d’accessits dans les grands festivals. Un cinéaste de l’intime satisfaisant tous les P.C. occidentaux, faisant voir rouge la ligne du parti dans son pays en glissant dans des enluminures une critique de la société chinoise.
Les prochaines éditions devront revoir leurs copies. Depuis Hero, et aujourd’hui avec ce second film de sabre, Yimou a pris un chemin quasi à l’opposé : divertissement populaire en Scope flamboyant, personnages romanesques et discours socio-politique flattant le pouvoir. Le Secret des poignards volants, c’est un peu une version médiévale d’Infernal affairs, le récent polar made in Hong Kong. En 859, un constable envoie sa meilleure recrue infiltrer une organisation rebelle. Au milieu des deux hommes, une danseuse aveugle. Trahisons, amours et loyauté, un programme triangulaire plus courant chez John Woo que dans le Wu Xia Pian chinois. Yimou le retranscrit dans une sarabande graphique et feuilletonesque, les coups de théâtre succédant aux morceaux de bravoure physique. Tant mieux pour les yeux ébahis devant une virtuosité de tous les instants amplifiée par la beauté plastique de l’ensemble. Tant pis pour les amateurs de scénario de realpolitik bien ficelés. Ceux-là seront plus avisés de se jeter sur la poignée de films de Chu Yuan récemment sortis en DVD.
Pour autant il serait dommage de faire la fine bouche devant Le Secret des poignards volants, film jumeau d’Hero dans sa structure mais curieusement plus terrien, au sens propre du terme : les scènes d’action se jouent souvent dans des espaces ruraux rendus intelligemment claustrophobiques. Les personnages ont beau défier l’apesanteur, ils finissent toujours cloués au sol par leurs tourments. Jusque dans un duel final splendide, le trio central surplombe alors une technique qui en faisait jusque là plus des codes couleurs que des caractères. Quand le réalisateur privilégie la chair au lieu du sens, Le Secret des poignards volants rencontre enfin ce qui lui manque souvent : une émotion autre qu’esthétique, quelque chose qui ne sonne pas comme une reconstitution parfaite mais creuse. Et si, en fait, Zhang Yimou était le Jean-Pierre Jeunet chinois ?