Après Sunday et Signs and wonders, Jonathan Nossiter ne compte plus les louanges, entrant dans le cercle fermé des jeunes cinéastes raffinés, curieux de tout et promis à un brillant avenir. Ce pourrait être l’exacte définition de Mondovino, étalage de classe, étude scrupuleuse et racée malheureusement lestée par deux-trois ricanements de jeune loup immature. Le sujet même est éminemment Nossiterien : faire un tour d’horizon du monde du vin, des industriels californiens aux exploitants exsangues du tiers-monde pour en dessiner le sens d’un discours centrifuge sur les aléas de la globalisation. Brillant, on vous dit, d’autant que l’homme possède un CV idéal pour un tel ouvrage : ex-sommelier, culture globe-trotter digne d’un diplomate (enfance en France, Grèce, Italie, Angleterre et Inde), plus un savoir-faire équivalent dans la fiction et le documentaire.
Bref, Nossiter a réponse à tout. Et répond à tout le monde sans jamais flipper : aux vieux châtelains érudits du Languedoc, au critique Robert Parker pour qui tous les vignerons grands luxes modifient leur vin pour flatter son palais, à Michel Rolland, oenologue magicien et conseiller star, à la famille Mondavi, sorte de Jean-Marie Messier version pinard qui fait main-basse sur chaque parcelle de vigne de France ou de Toscane. Aisance incroyable où le fleuve de témoignages synthétise les strates du système et croque chaque personnage en une succession virtuose de mini-portraits. Il y a dans Mondivino une impressionnante capacité à fusionner l’information dialectique (poursuivre l’enquête) et la truculence de celui qui la déclame. S’en dégage un double suspens qui naît d’un montage pourtant imparfait : le plaisir de la retrouvaille (surtout Hubert de Montille, viticulteur anti-globalisation, filmé comme un grand-père vivace) et la soif d’investigation journalistique.
Et puis, il y a l’oeil Nossiter, sur-aiguisé, trop même pour que l’analyse tienne la distance. Sa DV se ballade le long des demeures, dans les caves, capture tout, cligne de l’oeil à tout-va, faisant même du hors sujet le principal ressort d’un humour plus m’as-tu-vu que savamment caustique. Des remarques atrocement racistes des nababs californiens aux signes extérieurs de richesse soulignés à coup de panoramiques violents, l’aisance verse parfois dans la complaisance. N’empêche : un docu sur le vin qui fait voler en éclat la notion de terroir, où les châtelains reconnaissent que leurs grands crus ont un goût de piquette formatée est déjà un tour de force. Résultat : Mondovino fera date comme le premier film altermondialiste à dénoncer les aberrations d’un système, sans verser dans la complainte larmoyante et illuminée.