Depuis ses débuts « noise » dans les années 90 avec le groupe Eric’s Trip (témoignant déjà de son bon goût : le nom du groupe était tiré d’une chanson de Sonic Youth) jusqu’à ce magnifique Goodnight nobody aujourd’hui, la canadienne Julie Doiron prend doucement mais sûrement de l’importance dans les cœurs et esprits des amateurs de lo-fi folk boisée, de chansons délicates et de chants suspendus, s’inscrivant aux côtés d’artistes aussi essentiels que Chan Marshall ou Shannon Wright (sans parler de Keren Ann ou Feist, avis aux amateurs). Enregistré en trois lieux différents, à Paris, à Ottawa et Toronto, la démarche de Julie peut s’apparenter à celle du Bob Dylan 60’s, improvisant des studios d’enregistrement et d’éphémères backing-bands au gré de ses pérégrinations. Album de voyage donc, mais dont les sources différentes ne nuisent aucunement à l’harmonie de l’ensemble, les chansons plus acoustiques ménageant des respirations bienvenues aux titres joués en groupe, plus électriques.
Julie a entamé une collaboration fructueuse avec ses amis Herman Düne, qu’elle rejoint à la basse sur leur prochain album (Not on top, à paraître cet hiver), eux-mêmes l’accompagnant en groupe sur la plupart des chansons de ce nouvel album. Tous les quatre se retrouvant pour leurs tournées respectives. Enregistrés à Paris, la batterie stylisée de Neman et les harmonies de guitares claires des frères Herman Düne font merveille, entre discrétion respectueuse et surlignage attentionné des très beaux textes et de la très belle voix de Julie. Car le chant de Julie Doiron, on le sait depuis ses récents albums avec les Wooden Stars (Julie Doiron & The Wooden Stars réédité cette année par Jagjaguwar) s’acclimate autant d’une nouvelle électricité que de la délicate apesanteur de chansons simplement acoustiques (celles de Désormais, par exemple, en français, sur Secretly canadian). Vacillante, au grain fragile et mélancolique, parfois à la limite de la rupture (son premier album solo s’intitulait Broken girl…), la voix de Julie Doiron est parfaitement émouvante : une voix de consolation, qui se fait entourante et douce, discrète et intimement présente, entre berceuse et nostalgie.
Car les chansons de ce nouveau Goodnight nobody racontent autant le goût du voyage que la peine qu’entraînent les départs et la tristesse de la séparation. Installée à Montréal avec son mari et ses trois enfants, on voit Julie très attachée à évoquer sa vie de famille dans ses chansons et parfois pendant ses concerts : manière à elle de les voir l’accompagner pendant ses longues tournées. En résultent ces chansons en demi-teintes, hivernales et contemplatives, comme Snow falls in november, où Julie semble tirer tout son bonheur du jour à ne « pas partir » (« we don’t go nowhere ») et à regarder la neige tomber par la fenêtre, cette « snow » qui devient bientôt le « show » de la soirée, dans une torpeur de plus en plus douce. Comme si toute la vie de Julie Doiron était un partage (un déchirement ?) incessant entre intérieur et extérieur, entre sa vie de famille et sa vie d’artiste, le show hantant la veillée, la veillée se trouvant chantée pendant le show. On ne verra nulle impudeur dans ces évocations domestiques, mais la proximité juste et la vérité simple d’une vie de musicienne. Le témoignage discret et intimiste d’une très, très grande song-writer.