Couple marginal mais toujours vivace du cinéma d’auteur français, Simon Reggiani (plutôt acteur) et Patricia Mazuy (surtout réal), sous-tendent derrière leur naturalisme punk un perfectionnisme aussi pur qu’un diamant. Après Peau de vache ou Saint-Cyr, c’est en tout cas l’impression que procure Basse Normandie, à mi-chemin entre La Nuit Américaine version rustique et un home movie mégalomaniaque. Sous le regard (actif) de sa femme, Reggiani prépare son nouveau projet : clamer du Dostoïevski sur son cheval au salon de l’agriculture. Difficile à faire : l’acteur est bon cavalier mais veut exécuter les grands classiques du dressage. Difficile à monter : sur le plan humain et logistique, c’est le casse-tête intégral, entre un personnel de haras méfiant, un mécène régional qui brille par son absence et une monture toujours au bord de l’épuisement. Bref, difficile à comprendre (les chevaux, le spectacle, Dostoïevski, les paysans), ou plutôt de se faire comprendre.
Evidement, le couple doute et s’euphorise comme dans tout making of traditionel. Sauf qu’ici, Mazuy-Reggiani reviennent sur leur aventure comme un ultime prolongement en convoquant les intervenants du spectacle afin qu’ils y jouent leur propre rôle. On ne refait pas le match mais les coulisses, synonymes d’anti-chambre créatrice et d’opportunité à ouvrir le nombril de l’acteur (la folie de Simon) sur les terres cinématographiques de sa tendre et douce Patricia. Les questions de la représentation ou du rapport à l’animal y sont du coup archi-développées, mais dans la douce discrétion du formalisme documentaire. Le résultat est évidemment loin des grandes claques formelles auxquelles les fictions pur sucre de Mazuy nous avait habituées, mais conduit ici à un dédale d’options ludiques, parasites nécessaires pour la maturation du spectacle et sous-couches jouissives du film.
Ca aurait pu verser dans le foutoir indigeste et opaque, mais la mise en scène fait preuve d’une efficacité sidérante. Témoin, la scène vacharde et burlesque du pot d’accueil du personnel équestre que le couple tente d’apprivoiser, tient en un plan unique certes fébrile (gros grain de la DV, le parler filandreux de Reggiani), mais d’une précision sèche, sans fioriture ni complaisance. On y voit l’air piteux et timide des autochtones, surpris par une telle mise à plat, le stress du couple dans sa tentative de désamorçage de conflit et une complicité si palpable qu’elle tend à l’identification la plus naturelle. C’est sans doute la plus grande force de Basse Normandie : le courage remarquable qui caractérise les deux cinéastes pour dépasser l’animosité du monde extérieur sans chercher à le détruire, ni à le mépriser.