Prélevés dans le catalogue RKO que les éditions Montparnasse continuent d’exhumer en DVD poches : Angoisse de Jacques Tourneur et Secret de femmes de Nicholas Ray. Soit deux films assez méconnus et relativement peu commentés de deux maîtres dont l’exégèse remplit pourtant aisément plusieurs étages de bibliothèque.
Angoisse : intrigue fin de siècle, ambiance victorienne, récit de crime et de démence qui, prenant l’apparence d’un drame de la perversité et du soupçon quasi hitchcockien, se clôt par une prodigieuse scène de chaos dans une somptueuse demeure du Upper east side : explosion, fumée, flammes dévorant l’image, aquariums futuristes lâchant soudain des trombes sur l’écran. Le genre roi par lequel Tourneur a bâti sa gloire -le fantastique au bord du monde des ombres- est ici davantage un philtre qu’une matière première, est comme doublé par la limpide élégance de ce jeu de tromperie high society, avant de revenir sur le fil arracher l’âme criminel à son terrestre destin.
Guère plus célèbre, donc, Secret de femmes est moins spectaculaire, mais quoi, disait Godard, Nicholas Ray, c’est le cinéma. Et c’est un film clairement mineur dans l’oeuvre du cinéaste, tourné après Les Amants de la nuit (premier galop, déjà l’Everest que l’on sait), avant le doublon Bogart, Les Ruelles du malheur et Le Violent. Puisque Ray n’était pas alors en phase d’apprentissage, c’est que Secret de femmes est un film moins personnel, réalisé avec moins de cœur à l’ouvrage. Bref, et le cinéaste ne s’en est jamais caché : un enfant non désiré. Le scénario est signé par Herman Mankiewicz (co-auteur de Citizen Kane, quand même), à qui l’on doit ce récit en flash-back autour du destin d’une jeune chanteuse prise en main par un pianiste et une ancienne artiste qui a perdu sa voix. A noter, pour les amateurs, la VF du film, terrible, digne d’un soap opéra.
Saltos et pirouettes de la politique des auteurs, il faudrait aimer ce film aussi. C’est difficile, malgré quelques « malgré ». Inutile de se forcer, par contre, pour chanter les beautés de Angoisse, bien plus animé de l’intérieur, bien plus remuant, malgré ses « malgré ». Destins contradictoires de films dits « mineurs », coffret bâtard où chaque maestro a au moins une fois jeter bijoux un peu pâlots et ferrailles mal aimées.