Idole des parents d’élèves et des petits épargnants, Bertrand Tavernier est parti au Cambodge suivre le chemin de croix -fictif, mais ultra documenté- d’un couple de Français venu adopter un enfant. Bien sûr, c’est difficile, mais les gens qui s’aiment sont assez forts pour surmonter ça. N’empêche : enfer des labyrinthes administratifs, douleur des futurs parents aux prises avec des rapaces qui profitent de leur souffrance, menace de trafics, misère locale, etc. Rouvrir le dossier Tavernier, c’est toujours retomber sur un même sujet (et il aime bien les sujets, Tavernier) : les emmerdes. Les tracas petits et grands, ceux qui vous gâchent la vie ou, pire encore, vous font du mal. Les obstacles, toujours vus du côté des gentils flics (L.627), profs (Ça commence aujourd’hui), parents (Holy Lola). Hormis les opérations réhabilitations (Laissez-passer, sur le cinéma français sous l’occupation), Tavernier est le champion des causes justes. Evidemment, avec un Holy Lola -bien beau film sur un sujet de société, plein d’émotion, de gens simples qui se battent contre la folie du monde, au-nom-de-l’amour-, le réalisateur risque bien d’emporter tous les suffrages ou presque. Difficile, évidemment, de s’amarrer à une position minoritaire et d’affirmer que Tavernier, en règle générale, on n’aime pas son cinéma. Parce qu’il en va du malheur des gens et que taper sur un tel film revient nécessairement à taper sur eux, tout comme s’opposer au cinéma de Michael Moore signifie qu’on est bien sûr des néo-militaro-bushiens acharnés.
Là, sur un sujet pareil, Tavernier n’est pas content. Et il a bien raison : voyez les fourberies, mesdames messieurs, voyez la misère et voyez la souffrance (elle est de chaque côté, tout comme chacun a ses raisons), voyez surtout l’indignation de citizen Tavernier. Son héros est médecin de campagne, comme les héros ordinaires qui peuplent les feuilletons sympas des chaînes publiques. Ceux dont on ne parle pas assez, mais qui se battent, soyez-en sûrs. A l’hôtel où ils résident, les personnages ont pour voisins d’autres Français venus au Cambodge pour les mêmes raisons, et qui en bavent aussi. D’où panel : du médecin de campagne au beauf qui s’effondre, de la femme seule au mineur lorrain qui a pris un intermédiaire pour passer avant tout le monde parce que oui, s’il rentre trop tard en France son patron l’aura licencié, ça se passe comme ça pour nous, « et puis quoi ? Pourquoi vous me regardez comme ça ? ». Chacun ses raisons, chacun sa scène. Et puis par souci de ne pas sembler inverser l’échelle du malheur, visite guidée d’une décharge où s’affaire des milliers de pauvres parmi les pauvres, et puis cours sur le déminage, et puis visite du musée du génocide khmer. Un mot dit tout ça : cinéma démago. Une crainte le résume : attendre, tout au long de ces deux longues heures de métrage, que surgisse d’un pousse-pousse Philippe Torreton venu redresser les torts, héros positifs venu remonter le moral des autres héros positifs -imparfaits, humains quoi, mais positifs. Ça n’arrive pas, mais c’était moins une.