Depuis une bonne dizaine d’années, le tandem que forment André Charlier (batterie) et Benoît Sourisse (orgue) écume les scènes de la planète jazz et offre son irréprochable groove aux meilleures pointures, hexagonales et internationales : Didier Lockwood bien sûr, mais aussi Michel Petrucciani, les guitaristes Mike Stern ou John McLaughlin, Martial Solal ou, pour ne citer que ceux-là, Toots Thielemans. Le vénérable bluesman Mighty Mo Rodgers a lui aussi fait appel à leurs services : c’est à son contact, peut-être, qu’a germé dans leurs esprits l’idée de cet Eleven blues au regard tourné vers le Mississipi et la grande tradition d’une musique qui n’est d’ailleurs pas seulement une musique. Francis Hofstein, dans le texte introductif qu’il rédigea pour l’article « Blues » du Dictionnaire du jazz, rappelait ainsi que le blues est d’abord une sensation, puis un texte nourri de l’histoire, de la vie et des légendes du peuple noir américain, une structure musicale (les éternelles douze mesures, régulièrement débordées ou chamboulées au demeurant), une forme musicale et, plus profondément encore, une « pulsation », une « sensibilité », une interrogation de l’homme sur lui-même… Ce qu’André Charlier et Benoît Sourisse soulignent à leur tour, 9c’est combien le blues innerve de bout en bout les musiques du vingtième siècle et l’infinie diversité du jazz en particulier (« Jazz would be an empty house without the Blues », dit Whitney Balliett dans une formule qui sert d’exergue à l’album). Après un remarquable Gemini voici quatre ans, ce deuxième album du duo s’impose comme une totale réussite : un pèlerinage sans contraintes le long d’un fil qui remonte vers les racines du jazz, aux alentours de Congo Square (le quartier des esclaves à la Nouvelle Orléans, et le titre du morceau d’ouverture) ou de Celebration (un patelin paumé au bord du Mississipi, qui inspire l’un des thèmes), au rythme chaloupé de la parade (La Seconde danse) ou dans les pas du géant Eddie Harris. Kenny Garrett, admiré par l’un autant que par l’autre, vient parler la « voix du blues » en leur compagnie, rejoint ici et là par Jean-Marie Ecay (guitare), Stéphane Guillaume (saxophone), Claude Egéa (trompette) et Damien Verheve (trombone). Ce groupe à géométrie variable groove avec une belle énergie, rôde autour d’une insondable mélancolie avec un sourire en coin (Couleurs nuits), avant de s’effacer temporairement pour laisser Charlier et ses baguettes se lancer dans un Singin’drum en solo qui ravira les amateurs de batterie.
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