C’est avec ce Sang impur encensé par la critique que Hugo Hamilton, reconnu depuis des années par ses pairs, a enfin accédé à la reconnaissance du grand public : un roman autobiographique, un roman de la quête identitaire qui évacue par l’écriture les derniers vestiges d’une enfance difficile et confuse. Sans couplet idyllique, sans aucun sentimentalisme, avec une retenue jamais démentie, il raconte ces heures disparues et parvient à retracer une histoire qu’il avait choisi d’oublier pendant des années. Avec un père nationaliste irlandais, une mère allemande venue après guerre en pèlerinage et une ribambelle de frères et sœurs, la famille d’Hugo Hamilton n’a rien d’une famille ordinaire. Les enfants y grandissent sans vraiment savoir qui ils sont, avec pour seul ancrage dans le monde deux langues inusitées, l’allemand et le gaélique, sans vraie communication avec l’extérieur puisque chez les Hamilton est l’anglais est interdit. Hugo et les autres sont des gamins étranges, allemands en bas dans les lederhosen de maman, irlandais en haut avec leurs pulls en laine d’Aran. Des enfants qui parlent aux murs, qui crient vers la mer pour que le vent emporte les mots qu’ils osent parfois prononcer dans la langue interdite, qui vivent dans la crainte constante de leur père, à la fois tyrannique et ridicule, toujours prêt à se lancer dans de nouvelles entreprises pour réveiller chez son entourage la conscience irlandaise. Entreprises qui échouent systématiquement, l’heure n’étant pas vraiment au repli nationaliste dans ce Dublin qui vit au rythme de l’anglais. Quand s’ajoutent à ça les insultes et les coups des gamins du quartier, Hugo se tait, obéit au « non » silencieux de sa mère dont la famille, autant que possible, a lutté contre le régime nazi, et qui se trouve désormais confrontée à une forme pour elle inédite de fondamentalisme, celle de son propre mari. Elle y résiste au jour le jour, ce que Hamilton raconte dans une étrange mise en abîme, en tenant son journal et en réécrivant ses années de jeunesse.
C’est dans ce cadre un peu spécial que grandit Hamilton, entre séjours au Connemara, crises d’asthmes et batailles rangées dans les rues. C’est là qu’il apprend à deviner son père, son impuissance, sa faiblesse ; c’est face à cet homme aigri que grandit la révolte silencieuse et obstinée du fils. Jusqu’à ce moment terrible où Hamilton, adolescent, croise son père dans la rue et fait mine de ne pas le reconnaître. Quand il meurt peu après, attaqué par ses propres abeilles sans avoir le temps de parler à ses enfants, Hamilton en tire cette conclusion, terrible, sans appel : « On ne peut pas détester son père, parce qu’on ne s’aimerait guère soi-même non plus ». En racontant cette enfance pleine de honte et de gêne, sur laquelle il n’avait jamais osé revenir jusqu’alors, l’auteur s’en libère enfin. Lui qui a grandi sans histoire et sans langue recrée littéralement son identité, la comprend et l’accepte. Car finalement, « peut-être que votre pays, c’est juste un endroit que vous vous fabriquez dans votre tête. Un truc qui vous fait rêver et chanter. Ce n’est peut-être pas du tout un endroit sur la carte, mais juste une histoire pleine de gens que vous rencontrez et de coins où vous allez, pleine de livres et de films que vous avez vus. Je n’ai pas peur d’avoir le mal du pays et de ne pas avoir de langue dans laquelle vivre. Je ne suis pas obligé d’être comme n’importe qui d’autre. Je marche sur le mur, Walk on the wall, et personne ne peut m’arrêter ».