Il n’aura donc fallu à Julie Delpy que trois films pour atteindre une maturité proche du gâtisme. Impossible, à l’origine, de prédire un tel parcours pour une actrice aussi atypique, dont la carrière a alterné signatures européennes (Godard, Kieslowski), cachetons hollywoodiens et expérimentations indé (Before sunrise / Before sunset). 2 days in Paris, sa première réalisation, montrait assez justement cette scission franco-américaine, ne sachant jamais sur pied culturel danser – comédie new-yorkaise vs. vaudeville parisien. La Comtesse, film en costumes, désignait un revirement vers les codes (et l’académisme) d’une mise en scène anglo-saxonne. Le Skylab opère, lui, un retour au pays, pour le pire. Une fois de plus, Delpy joue la carte de l’autobiographie, se dédoublant en mère de famille qui, prise de nostalgie soudaine, se remémore son adolescence en 79, période où sa famille se réunissait en nombre autour de Mamie pour fêter son anniversaire autour d’un barbecue, dans une maison de vacances en Bretagne. Dès les premiers plans, l’envie de reconstitution des seventies éclabousse, à grands coups de gimmicks époque giscardienne : guéguerre parigots-provinciaux, arrivée de l’électroménager high-tech bon marché, relents d’Indochine et d’Algérie dans les mémoires, références Pif-Gadget, tout est là. Mais derrière le panorama historique, Delpy veut aussi glisser son propre portrait générationnel, écartelé entre rituels de vacances (boums, histoires d’horreur autour du feu, amourettes fantasmées) et pression de parents gauchistes envahissant (Elmosisno et Delpy). Plus intéressante, la référence au Skylab, un satellite menaçant de s’écraser sur Terre au moment des réjouissances, joue implicitement le rôle de métaphore de la montée du socialisme en France, dont la potentielle victoire aux élections de 1981 scinde la famille en deux camps adverses.
Si ce Skylab est loin de la morgue des Petits mouchoirs, le film n’en est pas moins embarrassant, fauchant une carrière de cinéaste modeste qu’on croyait loin d’une telle démagogie. Les scènes introductives – l’arrivé massive de tous les personnages en quelques plans de bouillonnement chaotique, sans vrais enjeux narratifs ni portée symbolique – sont pourtant vaguement prometteuses. Mais le geste naturaliste cède rapidement le pas devant le trophée du film : son casting, à la fois démesuré et calculé (Bernadette Lafont en grand-mère suprême, Vincent Lacoste en cousin jouant les beaux gosses…). Abusant de son jouet choral, Delpy cède vite au concours de prestation, distribuant à chaque acteur SA scène mémorable avec une pénible jubilation.
Puis vient la pirouette politique, balayant brusquement l’excuse de fête à Neu-Neu pour la dissertation sérieuse. Sauf qu’à vouloir dépeindre les névroses politiques d’une communauté en surchargeant les distinctions (les soixante-huitards vs. les militaires faschos), Delpy pousse l’exercice à un rare degré de manichéisme – voir la scène insupportable de diner/règlements de comptes -, qui n’est pas sans rappeler les sommets d’un Eli Chouraqui, parrain spirituel officieux du film. Après avoir tiré à boulets rouge sur tous les schémas de caractérisation (l’anar, le provocateur, le facho, le poltron, etc.), Delpy ose alors, dans une conclusion de haute volée, vanter finalement les valeurs essentielles du regroupement familial en compartiment TGV au nom des souvenirs impérissables entre proches, organisant une armistice (allez, même les fachos sont des choupinets sous leur carapace) qui vient saborder toute l’ironie laborieusement installée autour des personnages. Le pire reste peut être le sort du double autobiographique de Delpy : comme prise en otage dans cette guerre de brèves de comptoir, l’adolescence n’ayant finalement servi que de vague monnaie d’échange contre l’exposé à charge. Aucun souci à se faire cependant pour Le Skylab : ses ambiances de camps de vacance et sa candeur revendiquée camouflent suffisamment son conservatisme consternant pour lui garantir un probable succès populaire.