Montré à la Quinzaine des réalisateurs cannoise 2004, premier long métrage de son auteur, Mean creek se laisse difficilement voir hors de toute présence parasite de quelques films plus brillants que lui, et qui ont marqué le paysage américain ces dernières années. Voisinage très encombrant, que le film convoque malgré lui, à travers son sujet surtout : pour se venger d’un gamin obèse et sadique qui fait régner la terreur au collège, une de ses victimes accompagnée de sa copine de classe, son grand frère et un pote de celui-ci organisent une fausse birthday party sous forme de balade sur une rivière. En fait une mascarade destinée à humilier le bourreau pré-pubère. Rivière sans retour : bien sûr la mauvaise blague tourne à la tragédie. On pense au Bully de Larry Clark, évidemment, et à son cortège de petits criminels, pareillement auteurs d’une mise à mort de tyran. A Elephant de Gus van Sant aussi, par cette manière de redire en complainte l’accélération et la destruction de l’âge tendre. A Delivrance de Boorman enfin, pourquoi pas, par son cadre sauvage où la descente d’une rivière est le double négatif d’une remontée du fleuve des enfers.
Ces comparaisons multiples, loin d’étouffer Mean creek sous des parrainages encombrants, aiguisent au contraire sa singularité. Il y a un certain panache, ou une sorte de généreuse naïveté, aujourd’hui, à reprendre pareil canevas sur le mode parfois mis en minorité du récit classique. On sent combien le jeune cinéaste tient à l’ascendance d’un certain cinéma classique américain : cinéma du paysage, des mouvements naturels, mais qui ne renonce pas à des trajectoires plus artificielles, à modeler le réel en une série de formes productrices de sens. Ici, la ronde de nuit des enfants qui s’échappent un à un d’une fenêtre ; là, le cercle des petits assassins prostrés autour du cadavre, têtes baissées, incrédules. A la grande douceur du filmage, à la souplesse et l’empathie du point de vue, s’ajoute un vrai désir de mise en scène qui rebondit sur la profondeur des petits personnages en aucun cas robotiques ou abstraits. Jacob Aaron Estes tient à remplir ses personnages, à les affecter, là où les dispositifs d’autres (Larry Clark, Gus Van Sant) s’emploient à creuser, à interroger le vide intérieur qui les anime. C’est peut-être moins passionnant, ou novateur, mais c’est tout à fait louable, et touchant.