L’avertissement de l’auteur est clair : « Toute ressemblance avec des personnes vivantes ou décédées est entièrement intentionnelle. Les noms ont simplement été changés afin de protéger les innocents ». Réalisme décalé et humour volontiers corrosif sont au programme de ce second roman de Christophe Dufossé, qui en a situé l’action à Amboise, paisible petite ville de province nichée sur les bords de Loire. Anna, professeur de sociologie quadragénaire, vient de prendre une année sabbatique afin d’écrire un livre. Elle décrit ses états d’âmes et son quotidien en compagnie de son fils Simon, un adolescent en pleine crise, et de son mari Vincent, agent immobilier. Le départ en retraite du patron de ce dernier va bouleverser la donne de cette vie provinciale tranquille : le fils du patron, un petit con très sûr de lui, prend la tête de l’agence et commence à harceler ses employés, atteignant peu à peu l’équilibre mental et familial de Vincent. Anna, cloîtrée chez elle, se tient dans un poste d’observatrice privilégié et note, subtilement, les détails de son quotidien ; ses phrases trahissent une distance faite de tendresse et d’incompréhension pour les deux hommes qui l’entourent, distance qui produit d’un côté un effet de suspense et de mystère maillant ses relations familiales, de l’autre un effet comique dans la perception qu’elle a d’eux. Dufossé restitue à merveille son rapport au monde, sa psychologie, son regard féminin.
Dans une époque dominée par l’égocentrisme et où les écrivains se ruent sur les thèmes les plus racoleurs, on peut reconnaître à Dufossé le courage de renouer avec le roman provincial psychologique, en ayant par surcroît les moyens de le faire. Tout paraît très juste et très fin dans son écriture, les éléments les plus communs deviennent parfois jubilatoires sous sa plume (notamment l’excellente scène où Anna surprend son fils avec une voisine qui vient de lui administrer une fellation). Le fils, Simon, est lui aussi très bien campé et franchement drôle : bien que portraituré en adolescent à moitié autiste qui passe son temps entre ses jeux vidéo et ses disques de death metal, il ne sombre jamais dans la caricature. Sa passion subite pour Richard Durn, l’auteur de la fusillade de Nanterre, met clairement en abîme le drame qui couve sous la banalité tranquille de la ville d’Amboise. La tension monte en filigrane, très sourdement, laissant pressentir l’explosion finale. Et c’est là que le bât blesse : alors qu’on s’attendait à quelque chose qui retourne la peau du roman et donne un sens profond à ce lent crescendo, l’histoire s’essouffle et n’aboutit à rien de fulgurant. La subtilité de Duffosé semblent alors se transformer en timidité, et on regrette que le talent qu’il déploie pour faire vivre ses personnages et créer une mystérieuse attente ne porte finalement pas ses fruits. Dommage.