Le dernier film de julien Temple, quatorze ans après Absolute beginners, c’est un peu « Vigo Goldmine ». Comme le biopic -biographie filmée- collectif de Todd Haynes, Vigo, histoire d’une passion procède d’un désir de fan, d’une passion de groupie, sincère et naïve à la fois, qui pose l’effusion sentimentale comme un mal nécessaire et qui revendique presque un droit à l’immaturité dans le traitement du sujet, gage de son intégrité « amoureuse ». C’est connu : le questionnement, la raison brident les passions. Or, dans ce genre d’entreprise artistique où il s’agit de rendre hommage à ceux qui nous ont faits, l’écueil est le récit pieux, la succession des vignettes édifiantes où l’on croit servir l’idole quand on l’enterre en beauté façon « entre ici cher disparu! ». L’humilité de Temple à l’égard de son sujet est manifeste ; elle est louable mais mauvaise conseillère. La génuflexion, comme tournure d’esprit, ennuie et décourage. Il faut de l’insolence pour affronter les pères. Todd Haynes en fait preuve dans Velvet Goldmine qui va loin dans le « détournement » de son sujet -filiation du glam-rock avec Oscar Wilde, morceaux pastichant David Bowie, personnage de fiction croisant Lou Reed et Iggy Pop- et prend des risques pour plonger dans l’âme du glam. Au final, il y a un regard personnel qui fantasme et révèle son objet. Rien de tout cela dans le film de Temple qui réussit la contre-performance de réaliser un film sage et anonyme sur le plus irrévérencieux des cinéastes français.
Que nous dit le film de Temple sur Jean Vigo ? Qu’il lutta toute sa vie contre une maladie, la tuberculose, qui l’emporta en 1934, à l’âge de 29 ans ; qu’il aima beaucoup sa femme, Lydu et que cet amour fut souvent contrarié par sa passion dévorante pour le cinéma. Enfin, que son père, Almereyda, grand anarchiste français, inspira l’éthique de son existence. Or, la faiblesse de Vigo, histoire d’une passion, c’est son incapacité à dépasser le filmage plat des données biographiques. Comme si les peines de cœur et les toux chroniques du cinéaste pouvaient expliquer quoi que ce soit de la beauté de L’Atalante ou des inventions de Zéro de conduite ! L’obésité d’Hitchcock n’éclaire rien de Vertigo. La seule idée utilisée par Temple pour faire corps avec son sujet est scénaristique : elle consiste à intégrer dans le récit de la vie « réelle » de Vigo des situations vues dans son œuvre de fiction. Ainsi, la scène du train qui ouvre le film reprend les facéties des deux garnements de Zéro de conduite de même que les exhibitions de Bonaventure le tatoué reprennent les contorsions du père Jules dans L’Atalante, etc. L’idée potache et maladroite tourne vite au procédé et confirme le manque de hauteur du projet.
Reste le souci pédagogique de faire connaître Vigo aux jeunes générations. En couleurs et en anglais, bien sûr. Décidément, les bonnes intentions -toujours elles- ne font jamais les bons films.