Des sommets atteints au début des années 2000 (A .I. et Minority report), Spielberg était redescendu avec le sympathique Arrête-moi si tu peux. Le voici d’un coup retombé carrément tout en bas : Le Terminal est à n’en pas douter, avec Hook, ce que le cinéaste a fait de pire. Comment une telle catastrophe a-t-elle pu arriver ? Sans surprise, à vrai dire, tant on sait à quel point Spielberg, personnalité si peu complexe, est une sorte de bélier qui, sous ses faux-airs de touche-à-tout, refait toujours les mêmes films : mêmes méthodes, même candeur comme passe-droit immanent, même droiture dans l’approche, qu’il s’agisse de comédies, de films de SF ou de mélodrames. Ses forces (assez incommensurables) et ses faiblesses (dès que le cinéaste se laisse aller dans les extrémités du cynisme ou de la niaiserie) s’enroulent autour des projets qui se présentent. Au petit bonheur la chance, les unes prennent le dessus sur les autres, tout pouvant s’inverser brutalement selon la teneur des projets.
Ici donc, une intrigue a priori prometteuse : un touriste venu de Krakozie, patrie imaginaire de l’Eurasie, se retrouve bloqué à l’aéroport de New York. Durant plusieurs mois, il va faire son nid de ce grand carrefour déshumanisé, se lier d’amitié avec les petites gens invisibles qui le traversent, tomber fou amoureux d’une hôtesse en transit, etc. Plus que la fable à la Capra annoncée, le scénario fait penser à une sorte d’After hours diurne, où un petit microcosme se transforme peu à peu en grand terrain de jeu, une petite cité politique de synthèse à épanouir et à fleurir. Pour Scorsese, mais aussi Romero (le centre commercial de Zombie) ou Woody Allen (l’ambassade de Nuits de Chine), pour tant d’autres encore, ce type de dispositif était l’occasion de détourner une structure autiste par définition (la boucle et l’enfermement, un cadre à la Pinter) par un recours à la fantaisie : respiration et légèreté du montage, finesse psychologique, densité des caractères et richesse des dialogues. Voilà au fond tout ce que Spielberg refuse ici, empilant de manière artificielle et virtuose les séquences comme autant de briques de Lego acidulées.
Pire, l’enjeu politique du film (montrer les laissés-pour-compte d’un système dont on écorne les aberrations à coups de gros clins-d’oeils faciles) est incapable chez Spielberg de se muer en autre chose qu’un terrain régressif où chacun est immédiatement compris et assimilé, sans évolution possible. Une blague Burger King, deux ou trois scènes au burlesque lamentable (le nettoyeur qui fait glisser les touristes), et le film s’effondre comme une baudruche aseptisée. Tom Hanks simule l’accent russe et se cogne la tête contre les écrans d’information en meuglant comme un demeuré : le point terminal, c’est lui, qui à force de rôles pour clowns à oscars (le récent Ladyikllers) achève d’étouffer les films qu’il tente de porter sur ses épaules. Etrange comme un film tel que Collateral de Michael Mann (en salles le 29 septembre 2004, cf. Chronic’art #16), qui joue sur le même effet de compression et de resserrement spatial, mais aussi de relâchement dans l’oeuvre du cinéaste, révèle un talent de résistant quand ce Terminal ne fait ressortir au contraire que mollesse et soumission. Fantaisie bête et terriblement asexuée, Le Terminal révèle la part la moins intéressante de Spielberg, celle de l’humaniste gentiment neuneu. L’humaniste cruel et angoissé, on espère le retrouver dès La Guerre des mondes, son prochain projet, qui s’annonce autrement plus passionnant.