Comme souvent, dans les grandes réussites artistiques, tout part d’un malentendu. Extrait de la jaquette : « Vivez les 10 jours décisifs de la ville d’Amahara dans la peau d’un samurai errant ». Le joueur comprend instantanément l’objectif : suivre son bushido et le sens de l’honneur, éviter la tentation du mal et les bains de sang déraisonnables. On s’étonne d’ailleurs qu’on nous offre, au détour d’un simple achat de routine, la possibilité de partir du restaurant sans payer. Une épreuve pour vérifier la qualité de notre âme, sans doute. Au fil des jours, les événements tragiques et les noirs desseins s’enchaînent, sans que l’on comprenne vraiment ce qui se passe. Sinon qu’il faut tenir bon… pour obtenir la meilleure fin. Après avoir quitté la ville la tête haute et le torse encore gonflé de toute cette justice rendue, le joueur doute. Stupeur ! L’aventure n’a même pas duré 10 heures et les quelques armes ramassées apparaissent, dans le récapitulatif, comme une goutte de Bordeaux dans un océan de saké. Pire : la séquence finale, sous forme de texte, énonce stoïquement le prolongement de notre destin mais sans considération pour notre bravoure.
On crie à l’arnaque et l’on commence une nouvelle partie en essayant de passer de l’autre côté. On saisit la chance de devenir la pire des crapules, bientôt poursuivie par des magistrats intransigeants et des villageois vengeurs. Mais du côté des yakuza, l’aventure tournent encore plus court. Trois petites heures auront suffi pour conquérir Amahara, du sang plein les mains, mais avec une conscience plus aiguë, quoique partielle, des enjeux politiques en présence. Nerveusement, le joueur compte, de mémoire, tous les embranchements scénaristiques encore vierges de son engagement. Et comprend que c’est là le coup de génie et le sens profond de Way of the samurai 2 : finir ce jeu une seule et unique fois est une blague, un guet-apens tendu au casual gamer, certain d’avoir tout vu, tout vécu. Son but caché, sa finalité, se situe littéralement par delà le bien et le mal. Car si on recommence inlassablement les dix mêmes journées, c’est véritablement pour en épuiser tous les possibles, en embrasser tous les points de vue. Adieu l’injustifiable boucherie. Sayonara, le sens de l’honneur. Le samurai sans nom est un archiviste malade et l’acteur de tous les rôles d’un même drame. Cet effort exigeant de multiplicité morale conduit le joueur vers un monstre conceptuel inattendu : une compréhension in vivo de l’Histoire.
Malgré ses imperfections, Way of the samurai 2 vient de changer tout ce qu’on savait des jeux à fins multiples et propose, une fois n’est pas coutume, une réflexion tangible sur l’Histoire, qui partage avec le magnétique Majora’s mask cette logique de l’éternel et schizophrène recommencement. Et la plus belle illustration ludique d’une philosophie du voyage : la primauté du chemin sur sa destination.