La « Berlinette » ratisse large depuis son ascension au podium des Djs superstars, mais n’a plus grand chose de l’alien qu’on espérait voir surgir au détour d’un dancefloor. Si la belle Ellen a le mérite d’avoir gonflé les rangs de son label BPitch Control d’orfèvres du beat déconstruit (Smash TV, Modeselektor, Apparat, Feadz), le vernis pop de ses propres compositions peine souvent à s’extraire d’un carcan electro poussif, puisant à droite à gauche chez ses sous-fifres, quand ce n’est pas directement à la source (on flaire les réminiscences d’une certaine Bachelorette jusque dans les zigouigouis baroques de l’artwork). Cousu de fil blanc, l’esthétisme surfait du post-humain à l’âme de robot finit par nuire à des compositions bien trop ternes pour titiller la libido. On s’attendait à une collec de hits technopop bien enlevés, à défaut d’être bouleversants d’originalité, eh bien on s’était fourré le doigt dans l’oreille. L’executive lady, décidément plus efficace comme manageuse de label que comme artiste, persiste à confectionner des compos de cinq minutes sur une boucle figée dans le formol. Pas le moindre pet de traviole, pas le moindre soubresaut d’imagination. Toute émotion est éradiquée au profit d’une electro-trance peine-à-jouir. Concept fumeux ou gaucherie artistique, à laquelle on accorderait plus volontiers d’indulgence ? Un peu des deux, sans doute.
Les intros se révèlent à l’occasion prometteuses (une pulsation de basse Oizienne par-ci, une ritournelle AFXienne pa-là), le hic, c’est qu’elles s’étirent inéluctablement tout au long des morceaux, avec le concours d’un beat programmé avec des gants de boxe. La diva des platines ne lésine pas non plus sur le decorum neo-coldwave et ses panouilles grandiloquantes, calibré pour les sauteries techno peuplées de corbaques anorexiques. Ca ne s’arrange pas quand la voix déboule, rabâchant des slogans tartinés de reverb à faire saliver David Guetta (« Your body is my body », wow, fallait la trouver celle-là). Soyons indulgents, il y a bien quelques bribes d’inspiration fugace (le pouls hip-hop de Down que n’aurait pas rechigné Madonna ou les filaments mélodiques de Cloudy city), mais pourquoi est-ce si laborieux ? A moins d’en distiller quelques fragments au milieu d’un mix bien senti, on perd patience devant tant de balourdise à velléité futuriste. Un titre pas trop mal troussé résume la doxia de la djette : The Brain is lost (quoique Washing machine is speaking en jette pas mal non plus). Au firmament de l’overground electro, où trash et paillettes font bon ménage, la pilule passe mieux avec la distanciation je-m’en-foutiste d’une Miss Kittin ou l’ironie sans complexe des ExchPopTrue. Loin, elles, d’avoir renoncé à l’usage de leur cerveau.
Aux idylles fugaces prescrites par la hype, on préférera les sonorités en demi-teintes et le groove inoxydable de Rajko Müller, mieux connu sous le nom d’Isolée. Un premier album sorti de nulle part en l’an 0 (Rest et son single Beau-mot plage séminal) avait mis en émoi les scouts de l’electro minimale dont le purisme un peu couillon s’était vu soudain remis en question sur un mode pataphysique. Il y avait donc une vie après un énième beat house chié par le cul de Jupiter ? L’intelligent-techno allait-elle enfin nous lâcher la grappe avec ses idiomes deleuziens ? L’electronica allait-elle enfin arrêter de nous bourrer le mou avec ses clicks et ses cuts à tire-larigot ? Qu’on y soit sensible ou non, Isolée révélait en tout cas l’existence d’une fine fleur pop au sein de la dance music. Depuis, silence radio, son géniteur s’étant élégamment refusé à devenir une bête de foire médiatique. Il lui aura fallu cinq ans pour accoucher de ce We are monster en état de grâce. Rien à dire, l’attente est dignement récompensée. L’hédonisme sans héroïsme de ce compositeur discret trace de nouveaux sillons pour une scène électronique embourbée dans les sentiers battus. Passant outre les balises d’une musique de genre (deep house ? Electrofunk ? Pop futuriste ? Un peu tout ça…), Isolée voit la vie avec amplitude et nous promène dans des contrées fastueuses et sensuelles avec l’indolence d’un Playmobil en apesanteur. S’affronter avec une écriture pop sophistiquée tout en excellant dans l’art de peaufiner les programmations rythmiques, tel est le modus operandi de Herr Müller qui ne rechigne devant aucune figure de style (le petit bijou Schrapnell passerait presque pour un inédit de Neu!). Le casanier teuton excelle dans l’art de bâtir de complexes architectures sonores autour d’une charpente mélodique et d’un groove monté sur ressorts, non sans rappeler les productions les plus récentes de Stewart Walker ou du méconnu duo anglais Bell, voire les expérimentations les plus fructueuses de Mouse On Mars. Ponctué d’inflexions dub (Jelly baby / fish, Pillowtalk), de lignes de basse funk (le très sexy Enrico, Mädchen mit häse) et de bleeps acid aériens (My hi-matic, Do re mi), We are monster réitère à chaque écoute le même enchantement, propice au vagabondage mental comme aux tressaillements nocturnes.