Pas si fréquents, les films de squales. Des Dents de la mer à Peur bleue, en passant par quelques tentatives du bis italien dans les années 70-80 (La Mort au large de Castellari), peu de réalisateurs se sont aventurés sur ce terrain instable, partagé entre défis techniques luxuriants (la confection d’un faux-requin) et bidouillages minables (les stock shots granuleux ou l’anesthésie de requins chloroformés dans le bis italien). Rien que pour cela, Open water est un geste plutôt courageux et un véritable challenge de mise en scène : les squales sont bien réels et Chris Kentis ne choisit jamais la facilité du détour. Le pitch tient du Blair Witch maritime : l’histoire d’un couple de plongeurs malencontreusement oublié par leur groupe en plein océan.
Voici donc un film « à truc », où la DV et le filmage documentaire ne font que rarement oublier que nous baignons dans un pur film-concept, en plein exercice de style, aux limites du » coup » de petit malin. Seulement voilà : les tours de force, parmi lesquels tenir plus de 50 minutes avec deux personnages flottant au large, sans aucune accroche traditionnelle, se coulent dans une telle fluidité de mise en scène que bien vite, l’effet de réel reprend le dessus. Et après les afféteries de présentation (filmage tremblé, montage cut), Kentis impose une incroyable maîtrise dans sa façon de maintenir la tension. Au compte-gouttes, par petites touches, le fil du récit grimpe sur l’échelle de la terreur, jusqu’à l’apparition des fameux squales. Là commence le véritable pari du film, pari transformé haut la main : d’abord un aileron batifolant dans le champ, panique immédiate puis long silence ; nouveau déchirement de la surface de l’eau, éclaboussures de plus en plus proche des deux personnages. Le crescendo est haletant et joue sur la promiscuité de plus en plus ténue entre les monstres marins et les deux humains dans le même plan, jusqu’à l’apothéose, au cœur du métrage, du premier contact.
Petit traité bazinien, le film joue sur cette présence de deux régimes antagonistes dans le même cadre, avec pour seul contrechamp la profondeur invisible et habitée qui se dérobe sous les palmes des deux personnages. De Charlot dans la cage du lion à cette cohabitation imposée avec des squales bien réels (et le film ne se prive pas de montrer qu’il s’agit de requins très agressifs, requins taureaux et requins gris), même refus du détour pour faire remonter l’effroyable puissance du réel dans les limites circonscrites du plan. L’effet est parfaitement insoutenable, et Open water devient à certains instants un pur film-prototype (le réveil de l’héroïne, qui ne voit pas nager sous elle, à quelques centimètres, un requin blanc d’au moins 3 mètres). Seuls quelques documentaires jouant sur cette fascination exercée par la mort blanche ont atteint un tel niveau éco-cinétique. Pour cela, cette mise à l’épreuve du réel au cœur d’une fiction mainstream, Open water est un petit chef-d’oeuvre d’épouvante blanche, ultraréaliste, sans le moindre recours aux artifices de l’horreur contemporaine.