D’entrée, on pense à Scorsese. Comme dans Les Affranchis, The General s’ouvre sur la scène d’un meurtre à venir (soit un « flash forward » pour les puristes), auquel succède sans transistion l’enfance douloureuse mais libre du « voyou-héros » de l’histoire, dont on sait du coup qu’il sera mêlé au crime. En l’occurence, et contrairement à Henry Hill dans le film de Scorsese, la mort annoncée est celle du héros lui-même (voire Un Monde Parfait de Clint Eastwood), à savoir Martin, petit truand irlandais voué à devenir le Al Capone des buveurs de Guiness, et mériter le surnom de « General ». Mais attention, comme le dit justement Martin à ses accolytes qui lui tapent fraternellement dans le dos : « Eh ! On n’est pas des putains de ritals ! ». Comprenez : les personnages de Boorman sont des décapsuleurs de houblon et pas des mafiosi, des prolos qui pointent au chômage entre deux casses, pas des Michael Corleone sapés et gominés comme des pingouins. Oui, vous l’avez compris, Boorman a grassement donné dans le « social-peuple » (rejoignant gaiement la fanfare des Ken Loach, Antonia Bird et autres Jim Sheridan). Avant de médire plus en détails, je tiens à préciser ceci : les acteurs dirigés par Boorman sont excellents, le scénario est relativement bien pensé (et dépasse largement celui de Face), et certaines scènes sont à hurler de rire. Fin des louanges… Car quelles que soient les qualités de ce film, on ne peut se dépêtrer de l’idée que l’auteur a voulu s’essayer au film social -comme il a voulu, par fantaisie, s’essayer à la science-fiction en tournant Zardoz. Alors, évidemment, son film est bien pensant, correctement engagé, et quelque part « inattaquable ». Reste que Boorman ne semble pas avoir eu à investir un gramme de sa personne dans The General, tant il savait déjà à quoi devait ressembler son film.
Comme souvent, quand un réalisateur ne prend pas de risques, il camoufle sa supercherie à l’aide des clichés les plus douteux (les amis de Martin se cament, violent leur fille, trompent leur femme et jouent au billard, parce qu’ils sont pauvres). Enfin, pour être sûr d’émouvoir, Mister Boorman a jugé bon d’opter pour un « noir et blanc Kassovitz » (aussi réputé que le « vert Véronèse », la connotation péjorative en plus), qui, on le sait, fait ressortir à merveille les moindres aspérités des milieux défavorisés. Nul ne doute que quand Scorsese tourne Les Affranchis, il signe une œuvre sociale. Petite différence pourtant, cette œuvre est sienne, il se l’est appropriée : tout témoignage social découle naturellement, de manière authentique. Inversement, Boorman et son film sont deux choses dissociables.