Abandonnée brisera le peu d’illusions qu’il reste à ceux qui début 2000 béatifièrent un peu vite le nouveau cinéma fantastique espagnol. Portrait d’une orpheline américaine cherchant ses origines dans une datcha délabrée d’ex-URSS entre aujourd’hui et avant-hier, ce gros barouf rate à peu près tout ce qu’il tente, et tape rapidement sur le système. Mini wonderboy accédant pour la première fois au long-métrage, Nacho Cerda plonge son peu de grammaire dans une marinade cinéphile d’une lourdeur insoutenable.
Ça pleut des métaphores, ça blablate beaucoup mais toujours à double sens, ça s’extasie sur des détails insignifiants, genre l’arrivée de l’héroïne en Russie, dont la mise en scène sublime le passage des douanes, le trajet de la valise sur le tapis roulant, sa réception par sa propriétaire d’une main souple et ferme. Parce qu’attention hein, Abandonnée, c’est l’horreur en lettres majuscules, l’angoisse trifouillée façon chirurgien pervers. Mais la maîtrise n’est pas à la hauteur des intentions. L’intrigue embrouillée ne cache en rien le côté très prosaïque du film : traquer les peurs primaires, écraser le spectateur et les personnages, pointer une réflexion unilatérale, sans échappatoire (le trauma familial réduit, au fond, à une grosse BD sans chair). Les images ne respirent jamais, elles exhibent leur symbolique sans le savoir. D’où une redondance de principe qui rend le film à la fois très prévisible et profondément ridicule : un égout et hop, les pages du catalogue « peur de l’eau » se tournent mécaniquement, les théories défilent sans que le film n’en épouse une seule véritablement.
Cerda réduit la virtuosité à une succession d’effets toc (effets sonores à donf, photo charbonneuse) et la perversion à celle d’un ado déguisé en Marilyn Manson. Sans rire, c’est vrai. Abandonnée est un film mal dans sa peau, galvanisé par ses idées et donc carbonisé au moment de passer à l’action. La perversion, la vraie, joue avec le temps, elle ronge, quand Cerda esquive, tournicote, bégaie comme un disque rayé. En même temps que les intentions, ce qui fait tâche se décante de l’intrigue : les acteurs médiocres mais starifiées (psychologie grandiloquente, voix off), les rustines du scénar qui sautent, les figures usées jusqu’à la corde. Mais Cerda n’est pas toujours mal à l’aise. Dans sa quête de sens, l’ado peut trouver une valeur refuge, un truc à lui. Pour Abandonnée, c’est l’idée du fantôme moisi que les personnages palpent, on le voit très souvent. Et parfois, ça marche.