Sixième film d’Alain Cavalier après des oeuvres plus sombres et heurtées (Le Combat dans l’île par exemple), Le Plein de super était invisible depuis longtemps, après une carrière en demi-teinte à sa sortie en 1976. Sous l’impulsion de Cavalier lui-même, qui a dû faire une copie à partir de ses propres deniers, le film tente une nouvelle sortie. Le salarié d’un garage doit descendre, à son grand désarroi, la voiture d’un client à l’autre bout de la France. Accompagné de son meilleur ami et de deux jeunes hommes venus se greffer autoritairement sur le voyage, la descente dans le sud devient vite une aventure plaisante. A sa manière, Le Plein de super surfe sur la vague des Valseuses (réalisé deux ans plus tôt), sans la verve anar de Blier mais avec une sorte de tranquillité qui signe déjà l’assoupissement d’une révolution. Car les « rebelles » de Cavalier, ce ne sont pas les mauvais garçons un peu loubards, un peu poètes du film de Blier, mais des adultes intégrés et responsables dont la virée libertaire ressemble davantage à une nostalgie de l’adolescence. C’est pourquoi le film n’est le dépositaire d’aucun discours, d’aucune leçon de chose, simplement désireux de rendre des personnages à leurs joies enfantines, là où ailleurs on leur demande d’être sérieux (les femmes, les supérieurs, etc.).
Dans Les Valseuses, la course au bonheur était semée d’embûches, sans même parler du plan final qui, en dépit du bonheur présent, envoyait un signal désenchanté sur l’issue tragique de ses personnages. Dans Le Plein de super, la promenade a valeur de parenthèse enchantée, aucun surgissement de violence, aucun dégoût, aucun culot politique ne venant réellement troubler la paisible virée de ces compagnons de fortune. Au fond, le film a plus en commun avec certains films italiens des années 70, ces films de potes où était décortiquée avec saveur la psyché de trentenaires hétérosexuels, repoussant jusqu’aux extrêmes limites leur passage à l’âge adulte. Où même avec les films sympathiques d’Yves Robert (Un Eléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au Paradis) dont Le Plein de super est contemporain. Alors bien sûr, avec sa modestie et sa volonté de ne pas « faire sujet », d’élargir son horizon pour dresser un portrait de la France d’alors, ou de révéler le revers sombre de cette liberté acquise à l’arrachée, le film de Cavalier frôle parfois l’anecdote (on se demande bien ce qui a pu choquer certains spectateurs de l’époque), la provocation mièvre et sans vigueur.
Il suffit pourtant de voir le film à la lumière des récents 15 août et Le Coeur des hommes (autres films « de potes ») pour mesurer le fossé qui sépare Le Plein de super de ces objets d’une vulgarité et d’une misogynie révoltantes. Cavalier réalise là un essai récréatif à la légèreté communicative dont on sent bien qu’il a été l’occasion d’un échange et d’un partage avec une jeune génération de comédiens à laquelle le réalisateur prêtait une oreille et un oeil généreux, sans jamais tenter de l’inscrire au sein d’une fiction édifiante. D’où aussi cette impression de présent perpétuel : tout dans le film refusant de se projeter dans l’avenir ou d’avoir un peu d’avance sur ses personnages. Si bien qu’en définitive, Le Plein de super garde son cap jusqu’au bout sans vraiment céder à la mélancolie ou au désenchantement. C’est à la fois sa réussite et sa limite.