Nouveau venu sous l’incontournable étiquette norvégienne Rune Grammofon, le jeune trio danois Skyphone s’impose d’entrée de jeu parmi les formations les plus excitantes des scènes électroniques européennes. Entre rock bruitiste et dub minimaliste, mélodies malades et boucles bancales, leur musique sèche, précise et noire comme la nuit ressemble à la bande-son d’un film d’anticipation catastrophiste et oppressant : presque dénuée de réverbération, délivrée aussi brute que possible, elle mêle habilement une instrumentation rock traditionnelle (guitare sèche ou électrique, basse lourde et terrienne) à une batterie de synthétiseurs analogiques (liste gracieusement fournie sur leur site web : un Moog Satellite, un Roland SA09 et « the terrible Roland GM Synth », entre autres) et de samplers nourris aux matériaux les plus divers (des sons ramassés par Thomas Holst durant ses expéditions au Népal et en Mongolie, notamment) et à toute une ménagerie de jouets traficotés, de crécelles rafistolées et d’outils acoustiques détournés qui donnent à Fabula son atmosphère de caverne d’Ali Baba ludique et inquiétante, brinquebalante et dérangée.
Tous nés il y a une trentaine d’années, Thomas Holst, Keld Dam Schmidt et Mads B?dker ont d’abord fait leurs armes dans divers groupes de rock au cours des 90’s (le dernier a aussi tâté du saxophone et du jazz, d’où une certaine propension aux rythmes balancés qui se ressent dans ses programmations) avant d’aller voir du côté de l’électronique allemande puis de se retrouver à Copenhague pour créer Skyphone, voici quatre ans. Simplissime, affectant les sons analogiques désuets et les boucles minimalistes, leur musique prend sa dimension en cherchant à la fois du côté des mélodies entêtantes et efficaces du rock (les arpèges de guitare coulent doucement tout au long du disque) et des ambiances éthérées de glorieux aînés électroniciens (Supersilent, bien sûr, ou encore, pour rester dans l’écurie Rune, les mélanges électro-acoustiques d’Alog ou de Phonophani). Truffée de grattements, de rayures savamment agencées, de frottements perturbateurs et de percussions sèches et intrigantes, elle fuit l’impersonnalité aseptisée de la perfection digitale et lui préfère la proximité salissante des irruptions acoustiques, grevant sa surface d’une myriade de cratères qui lui donnent un relief saisissant. L’ostensible glissement des doigts sur le manche de la guitare, les défauts minimes qui donnent son grain à la musique, sont délibérément mis en valeur et insufflent âme et chair et à un environnement électronique fascinant, entre techno minimaliste et jazz du futur, mélopée informatique et naturel revenant au galop. Absolutely Fabula.