On se rappelle encore, non sans une certaine émotion, notre toute première altercation avec un zombie de Resident evil : quelques secondes d’hésitation, trois-quatre coups de canifs désespérés d’un côté, quelques coups de dents cariées de l’autre. Bilan : game over. Radical. Cette mort subite, inattendue, avait à l’époque valeur de dépucelage : première rencontre, premier choc… Par la suite, on a bien sûr appris à apprivoiser ces créatures sans grade, ces fantassins du survival qui sont progressivement redevenus de la chair morte, inerte, amorphe et un peu bêtasse. De la chair à canon pour vétérans.
Nouveau venu dans le domaine du survival, Sony voudrait non seulement nous faire revivre cette défloraison par le croc, ce moment crucial de peur panique, mais aussi faire durer ce plaisir un rien maso sur toute la longueur de son Forbidden siren. L’arme du crime : le « shibito », petit mort-vivant un rien péquenot, bleuâtre et aux yeux dégoulinant de sang. Le shibito ne paye pas de mine, à première vue. Il est pourtant vif, malin, toujours à l’affût du moindre bruit ou mouvement suspect. C’est un chasseur redoutable et vous êtes sa misérable proie, plus fragile que les flics surarmés de Resident evil, plus gauche que les héros lambda de Silent Hill. Exit l’effet de surprise du premier Resident evil, ici, c’est juste la Mort qui rôde, qui piste et qui s’acquitte de sa tâche avec une imparable efficacité. D’exercice comptable de gestion des ressources, le survival vire au jeu d’infiltration. Se montrer, c’est déjà mourir un peu…
Jusque là, Forbidden siren n’a rien à se reprocher : il redonne au genre son essence séminale, avec une radicalité qui force le respect. Mais le survival de Sony ne se contente pas d’être rétro, voire rétrograde -cf. la maniabilité, atroce, et les menus contextuels vieillots qui surgissent de l’écran à la moindre action-, il veut aussi tout changer, tout déconstruire, briser les codes narratifs du genre, les atomiser en une multitude de petites missions interconnectées. Forbidden siren est un jeu rhizomique, c’est chic. C’est un jeu choral, (ex-)centré sur une dizaine de personnages aussi disparates qu’anodins -un étudiant, un curé, un prof, un médecin, un vieux chasseur, etc., c’est Voisin-voisine au pays des shibito. C’est enfin un jeu qui réinvente le mouvement perpétuel, la progression par ressacs successifs, vous obligeant souvent à revenir sur une mission pour remplir de nouveaux objectifs et débloquer de nouvelles voies scénaristiques. Complexe, opaque, ambitieux, le survival de Sony se fourvoie hélas dans l’imbroglio de ses propres codes, trop rigides, et un gameplay maladroit, parfois laborieux à force de se soumettre obstinément à la loi du « par coeur », de l’interface minimale et du « die-and-retry » permanent. Le critique peut s’attacher à l’indéniable virtuosité du récit interactif, à l’atmosphère nippon-gore particulièrement réussie, le joueur peut y voir un véritable challenge ou un sacerdoce, trop mécanique et cérébral pour faire peur. Trop attaché à retrouver les sensations de la « première fois », Forbidden siren en cumule les avantages et les inconvénients : douloureux, décevant mais forcément fascinant.