A l’aune du revival cold wave-EBM plébiscité par les stars de l’electro-cash hexagonale (The Hacker, David Caretta, Black Strobe et autre Volga Select passé maître dans l’art du business retrofuturiste), il est instructif de se replonger dans la discographie de Kas Product, fers de lance dans les années 80 d’une certaine jeunesse so young, but so cold, éprise de pose romantico-toc (habits noir et mèches rebelles), de synthétiseurs pianotés à deux doigts et de boîte à rythmes habilement programmée (hum). Cette éloquente sinistrose signait l’arrêt de mort du rock « à l’ancienne » et l’avènement de l’ère électronique qui allait contaminer les générations suivantes (Front 242, Nitzer Ebb et tutti quanti). D’où l’intérêt de ces rééditions du mythique label DSA (associé au magasin Wave) qui viennent à point nommé pour nous rappeler que les corbaques n’ont pas généré que de la musique de daube, et que ces Thénardiers de la new-wave figurent parmi les précurseurs de l’electro contemporaine.
Rappelons quand même que le paysage musical français dominant dans les années 80 ne brillait pas par son inventivité et donnait effectivement envie soit de se tirer une balle, soit de déménager dans un bunker pour échapper aux cadors de la rockitude rétrograde qui a longtemps considéré Kraftwerk comme un groupuscule néo-nazi et l’utilisation de machines comme un truc de hippie et / ou de pédé. Un vieux clivage encore d’actualité, au regard du succès rencontré par Marcel 3D et ses Têtes de Mickey Raides, témoin d’une envahissante démagogie bien de chez nous. Appréhendée dans ce contexte, la musique de Kas Product est réellement (d)étonnante. On est happé par la voix « siouxsisante » de Mona Soyoc, féline et vénéneuse, soul blanche enveloppée de reverb, qui se déroule lascivement sur le tapis d’une boîte-à-rythme de l’âge de pierre (environ trois toms et deux snares) et des arrangements synthétiques concoctés par son compagnon Spatsz, ex-infirmier psychiatrique promu héritier de Martin Rev et Richard H. Kirk. Parsemé de riffs de guitare flangés, ce minimalisme hypnotique n’avait alors que peu d’équivalent, si ce n’est peut-être les Metal Boys, Elli & Jacno ou Taxi Girl, pour ne citer que les têtes de gondole.
Supposément enregistré toutes portes et volets clos dans une maison au fin fond de la campagne nancéenne, sorti en 1982, Tryout pose les jalons de cette Nouvelle Vague qui prend tout le monde au dépourvu, les journalistes rock y compris. Et impose des standards comme Never come back ou Pussy X, tubes electro visionnaires qui seront, une fois n’est pas coutume, encensés par la presse anglaise. Et feront danser toute une jeunesse à côté de ses pompes. Le reste de l’album est à l’avenant, recelant d’étranges pop-songs dignes des Young Marble Giants. Le deuxième album, Bypass, est enregistré en février 1983 à New York, au Sorcerer Sound Studio (Swans, Sonic Youth, Laurie Anderson…) sur les recommandations de Martin Bisi. Un poil plus élaboré, mais la formule reste, peu ou prou, identique. T.M.T. sonne comme l’alter ego de Never come back et on a parfois l’impression de réécouter le même disque à un an d’intervalle. Les riffs de guitare saturés et les mélodies viennent parfois trouer l’iceberg (Smooth down), anticipant la noisy-pop à venir quelques années plus tard. Ni vraiment punk, ni tout à fait pop, la musique de Kas Product fait l’effet d’un marron glacé, onctueuse et sensuelle sous une écorce froide et rigide.
Avec ces deux disques essentiels (le troisième étant plus controversé), le duo aura imposé un blues futuriste qui continue de hanter la vie nocturne, du moins la mienne, plus de vingt ans après.