Jerry Schatzberg fait partie de ces cinéastes des années 70 projetés au firmament d’Hollywood avant d’en être exclus très vite. A l’image d’un Jewison (Rollerball) ou d’un Kubrick (Orange mécanique), Schatzberg choqua son monde avec Panique à Needle Park, description ultra-réaliste de la violence du monde des junkies new-yorkais. Aujourd’hui, l’aspect avant-gardiste d’un Orange mécanique ou celui d’un Rollerball a pris pas mal de plomb dans l’aile. Si l’évidence Kubrick demeure, Jewison est désormais considéré à sa juste valeur : celle d’un faiseur malin mais sans envergure. Dans cette perspective, la sortie en DVD de Panique à Needle Park est une bonne occasion de jauger de Schatzberg aujourd’hui : évidemment en dessous d’un Mallick ou d’un Kubrick, mais bien au-dessus d’un Jewison. Pas vraiment une surprise : son récent film, The Day the ponies come back, témoignait non sans naïveté de l’efficacité simple du « Schatzberg style » et de sa persistance : approche envoûtée d’une réalité urbaine saisie pourtant dans toute son immédiateté.
A Needle Park (« le parc de la seringue »), grosse panique : les stocks viennent à manquer dans la communauté junkie de Manhattan. Bobby (Al Pacino) a beau s’amouracher d’Helen, il lui faut survivre. C’est la descente aux enfers : l’un et l’autre sombrent en une suite de coups ratés et de compromissions, entre overdoses et loose constante. Quelque chose a bien vieilli ici : Pacino, qui en fait des tonnes pour son premier rôle au cinéma, le filmage au téléobjectif pour « faire plus vrai » que viennent sans cesse annihiler les effets appuyés de la mise en scène. Seulement voilà : derrière les séquences too much, l’aspect un peu ringard du côté documentaire (The Connection de Shirley Clarke faisait beaucoup plus fort dix ans auparavant), perce par à-coups, en toute clarté, l’évidence d’une douceur et d’un attendrissement -le regard d’un cinéaste. Deux ou trois plans (Bobby prenant dans ses bras Helen quand il comprend qu’elle est à son tour addict), une maîtrise confondante de l’ellipse (toutes les scènes-clés ou d’action coupées) et les séquence de prise, d’une effroyable tendresse, s’impriment avec une force peu commune dans l’esprit. Schatzberg est un faux sec, un faux froid, dont le coeur bat imperceptiblement à tous les plans.
Le cinéaste filme la relation d’Helen et Bobby à la manière d’un mélodrame dont on aurait enlevé toute la graisse. Ne restent plus que les intermèdes ou descentes, jamais les pics. D’où peut-être la persistance de la beauté du film : son refus de l’accumulation ou de la performance au profit d’un rapport déflationniste à la matière-chose filmée (les effets, les états, le subjectif plutôt que la réalité objective du constat). Envoûte alors la description simple de l’amour indéfectible qui lie Helen et Bobby, jamais présenté comme impossible ou tragiquement romanesque. Une scène d’épreuve ou d’empêchement (Bobby qui bat Helen lorsqu’il apprend qu’elle se prostitue) est oubliée sitôt écoulée. Ce principe d’avancée et de fluidité -que renforce paradoxalement la sécheresse du découpage- demeure très contemporain. Il y a du Christmas (Ferrara) dans Panique à Needle Park. On regrette que la partie bonus se résume à une longue interview de Schatzberg (passionnante plongée dans le New York underground des années 60), mais la sortie du film est à elle-seule est une double surprise. Surprise de voir, derrière la réputation extravagante et tapageuse du film, qu’il n’est en fait qu’un monument de pudeur. Surprise enfin de constater, dans le recul induit par le vision DVD, une puissance d’envoûtement décuplée par le temps.