Paru en 1996, Football factory est le premier roman de l’excellent John King, découvert sur nos côtes avec sa Meute et Human punk. Traduit dans une relative confidentialité chez Alpha Bleue en 1998, repris un an plus tard dans une édition de poche aujourd’hui indisponible, le « livre le plus authentique jamais écrit sur le foot et la classe ouvrière anglaise » (dixit Irvine Welsh) connaît donc une opportune troisième vie, en plein championnat d’Europe de football. Il n’y a pourtant guère que dans le titre qu’il est sérieusement question de dribbles et de ballon rond : pour le reste, l’essentiel des 360 pages du livre se déroule en dehors du stade, dans les rues qui l’entourent et dans leurs pubs. Le narrateur s’appelle Tom Johnson, la vingtaine, pur produit de la classe ouvrière ; Tom est manutentionnaire dans un entrepôt, vit seul dans un petit appartement, fréquente abondamment les pubs et, tous les week-ends, retrouve ses copains pour aller supporter l’équipe aux couleurs de laquelle il s’habille depuis le berceau, le Chelsea F.C. A domicile ou en déplacement, le déroulement des opérations est toujours le même : échauffement au comptoir à coups de tournées de bière, virée en groupe à la recherche d’une bande de supporters adverses, baston éclair, bris de vitres et fuite généralisée lors de l’arrivée de la police. C’est ce que raconte King dans une langue charnue et colorée : du premier chapitre (Chelsea VS Coventry) au dernier (Chelsea VS Derby), les castagnes succèdent aux bitures et les coups d’un soir aux nuits de garde à vue, sans que rien ne vienne rompre l’ordonnancement répétitif d’une vie pareille à celle de milliers d’autres jeunes anglais sans grand espoir d’élévation sociale.
La rusticité du style, le charisme du narrateur et la crudité des dialogues font de Football factory une peinture ultra-efficace d’un milieu social que le foot en lui-même ne passionne plus que de manière secondaire, comme prétexte à une séance de défoulement collectif hebdomadaire. L’aspect répétitif des situations et la relative pauvreté de la construction (une journée de championnat par chapitre, le tout entrecoupé de portraits un rien appuyés de londoniens moyens des 90’s) forment la limite d’un premier roman assurément moins abouti que l’hilarant La Meute et l’ambitieux Human punk. Il ne s’en dégage pas moins une manière de désespoir tranquille significatif d’un état d’esprit et, surtout, de la sclérose d’une société où plus personne ne croit en l’ascenseur social. A la délicieuse infirmière qui s’occupe de lui après une baston plus douloureuse que d’habitude avec les supporters de Millwall, et qui ne comprend littéralement pas l’intérêt d’aller se cogner des beignes sans raison entre amateurs de foot, Tom fait cette réponse triste : « Je sais qu’elle a raison. Je comprends ses arguments. Mais ça ne changera rien, ça ne peut rien changer. Se faire viander à Millwall, ça craint, mais je sais le pourquoi et le comment, ça n’a rien d’une surprise. Il y a des gens que ça dégoûte. Moi, je morfle, c’est tout ». Le dérèglement et l’absurde érigés en normes de vie, l’issue par le haut définitivement jugée inaccessible (et même pas enviable par surcroît) : l’Angleterre telle que la montre John King n’est pas belle à voir. Si l’écrivain ne prendra vraiment son envol qu’avec son roman suivant, l’enragé habite d’ores et déjà les pages de ce roman brutal et attachant.