Mathieu Kassovitz s’est fait attendre. Trois ans après son dernier long-métrage, il ose enfin un come-back derrière la caméra avec un film qui semble la suite logique d’un parcours laissé en suspens avec Les Rivières pourpres. Parcours original s’il en est : rupture brutale et voulue avec son début de carrière en tant que cinéaste trop vite qualifié d’ »auteur », l’exil américain semble cette fois entièrement assumé, et fait de Gothika un film beaucoup plus intéressant que le précédent et surtout moins bancal.
Regretter le jeune et inventif cinéaste de La Haine n’a pas de sens. Mathieu Kassovitz a délibérément choisi de tourner la page, et de s’offrir un regard neuf sur le cinéma, en l’occurrence ici le cinéma de genre, entre thriller psychologique et série B d’épouvante -l’appellation importe peu. La gageure était intéressante : il aurait été facile de se laisser trop vite séduire par la concrétisation de ce rêve américain, en ne s’en tenant qu’aux objectifs strictement commerciaux. Comment pouvait s’exprimer la marge de liberté d’un cinéaste français, appelé, à la manière d’un Jean-Pierre Jeunet, aux commandes d’un film dont formes et contenus seraient imposés par deux producteurs tout-puissants, Joel Silver et Robert Zemeckis ?
Sans aucun doute, Kassovitz a joué le jeu, alliant l’efficacité et le savoir-faire technique des Américains à une conception plus singulière du cinéma. Il donne à Gothika ce goût inabouti des films qui tentent de régénérer le genre. A l’évidence, en en grossissant tous les clichés (psychologie pseudo-freudienne, éternel et absurde questionnement du lien irrationnel /science), il en mesure toute la vacuité. L’avertissement est clair : la force du film n’est pas là où l’on vient communément la chercher, dans un scénario peu imaginatif et prévisible. Qui s’intéresse vraiment à la révélation finale, d’ailleurs la moins bonne (mais inévitable) partie du film ? C’est créer une atmosphère qui enthousiasme Kassovitz, chercher cette harmonie factice entre la musique, les décors immenses et vides, la lumière aveuglante, cette caméra qui semble envelopper et prendre au piège les personnages. Le reste a peu d’importance.
Kassovitz garde pour lui le meilleur, et cherche à s’accommoder du pire. Finalement, on sent le cinéaste tiraillé entre les exigences du genre et ses propres fantasmes. Et c’est là qu’il rencontre ses limites : à trop hésiter entre fascination pour un certain cinéma américain et volonté de se démarquer, il ne parvient pas à faire totalement sien le film. Comme souvent dans le genre, Gothika est une boîte à références, qui lorgne vers d’illustres prédécesseurs – de Stanley Kubrick à Steven Spielberg -, mais prouve aussi que Mathieu Kassovitz est d’abord et avant tout un redoutable filmmaker, dont le talent explose le temps d’une magnifique séquence de course-poursuite, où l’on retrouve Halle Berry tour à tour plongée dans le bleu profond d’une piscine et traquée dans un cache-cache haletant. Quinze minutes de bonheur et de maîtrise totale : une leçon de cinéma.