On se souvient que les Sunz Of Man (60 Second Assassin, Hell Razah, Killah Priest et Prodigal Sunn) avaient parachuté les bombes Soldiers of darkness et Five arch angels. Huit ans déjà… Les prods apocalyptiques de 4th Disciple frappaient robustement, et aujourd’hui encore, ces titres restent pour beaucoup des moments forts de l’histoire du hip-hop issu de la sphère Wu-Tang. Entre-temps, il y a eu l’album The Last shall be first en 98, qui comprenait quelques titres produits par RZA et des pointes mal goupillées par Wyclef Jean (le pauvre riche). On pensait que c’était la fin des Sunz… Après quelques albums et Ep’s sortis à droite à gauche, dans l’anonymat général, les voilà de retour avec Saviors day, sur lequel on retrouve quelque peu la fibre hardcore des débuts (Banksta’z), avec un travail de RZA et Fatal Son, pas trop mauvais au mic… Malheureusement, ce ne sont pas les featurings de GhostFace (sur Industry & saviors dayz) qui sauvent ce disque mal foutu, dont les prods fatigantes font mal à la tête. La goutte du foutage de gueule qui fait déborder cette galette indigeste ? Le gros sticker « featuring Method Man » placé sur le disque. De fait, le dernier « track » sur lequel est censé rapper Meth n’est autre qu’un gros big up de trente secondes, un vulgaire drop qui ne veut rien dire… Les amis du Wu-Tang sont dans de sales draps. RZA a gagné du pognon, mais il a perdu pas mal de poids, et ses partenaires aussi -le dernier opus d’Inspektah Deck (The Movement) en est la preuve parfaite. Il est naze.
Mais les amis de The Abott ne sont pas tous égarés. En témoigne Shabazz the Disciple, que les férus du crew au grand W connaissent bien pour sa participation inoubliable sur l’excellent Six feet deep de Gravediggaz (avec le notoire Diary of a madman). Révélé par RZA, il continue de creuser dans le sillon le plus dark de l’histoire du Wu et de ses disciples. A l’époque des premiers pas de Gravediggaz, notre homme portait le nom de Scientific Shabazz, exhibant son courroux abdominal comme un putain de pitbull épileptique.
Les Gravediggaz, conduits pas Prince Paul et un grand RZA, ont marqués l’histoire du rap hardcore, créant avec leur premier opus un large virage horrorcore dans le rap game, que seuls Masta Ace (et son mythique Slaughtahouse) et Necro (I need drugs & Gory days) ont su faire perdurer avec originalité. Shabazz ne réussit pas à faire de même. Cependant, il reste un excellent homme de l’ombre, un chasseur caché dans les recoins les plus sombres du rap game, dans les égouts d’un New York qui ne s’est jamais débarrassé de sa plèbe endémique et de son art emporté. Récupéré par Battle Axe Records, il droppe aujourd’hui un album qui étale ses titres connus, mais également une pléthore de nouveautés. Quelques ratages de ci de là n’entachent pas vraiment la belle géométrie sonore de cet album, qui balance plusieurs tracks bien acérés (Organized rhyme part. 2 et ses bribes de samples tourbillonnants). La qualité des prods et le mastering de l’album est aussi pour beaucoup dans les petites pépites surprenantes qu’apporte ce rappeur tourmenté. Epaulé par de grosses pointures (enregistrements de Carlo Bess ou de Marley Marl, rien que ça…), The Disciple largue ses rimes méphitiques, place sa voix éraillé sur des instrumentaux souvent ombreux, sans oublier de célébrer le hip-hop (Red hook day), ses royaux fouteurs de merde (Tim Dog), ses voix irremplaçables (Rakim), sa conscience (BDP), sa fougue (Mobb Deep), son allégresse (Fat Boys), son histoire (Russell Simmons et Def Jam). Contrairement à bon nombres de ses pairs, Shabazz n’a pas perdu le contact avec la rue. On le sent d’ailleurs à fond sur des titres comme le cabalistique Thieves in the night part. 2 (produit par Q-Unique, ex Arsonists passé chez Uncle Howie Records, label du frérot de Necro : Ill Bill), où l’auditeur peut avoir l’impression de suivre les pas de ce prédateur dans les rues pourries de New York. La rythmique écrase les tympans comme des pompes dans la gueule. Quant au récit, il est cru, nerveux, contagieux : « In this land of crime and poverty, sometimes, to feed the family, you have to commit a armed robbery, you have to commit a heist. Evil is my level of thinking… Pistoled wipped his ass, comitin’ armed robberies, fuck poverty… Continuin’ my mission. Where we go it’s kind of scary… I was thinkin’ about the fuckin’ catastrophy, we left at least ten or more casualties… Splaterred around butt-naked, the only mean of identitity was their mothafuckin’ dental records… ». On focalise sur la fougue et la rage du bonhomme, dont le flow rauque se place parfaitement sur les montées de synthés samplées et placées précisément. Sur ce titre pivot de The Book of Shabazz, c’est la rage qui boursoufle les cordes vocales… Une rage palpable (Ghetto apostles featuring R.H Bless, Poetic, Freestyle…arrachent des têtes, The Lamb’s wool est un sacre vaudou nouée par des samples espiègles). Sur de nombreux passages, Shabazz prouve qu’il fait partie des griots urbains les plus insalubres. Quelques charges évoquent fortement l’univers du Wu période 36 chambers (Hip-hop), d’autres rappellent de bons souvenirs (le fameux Crime saga qu’on a plaisir à réécouter). Impossible aussi de ne pas penser a Diary of a madman sur le titre Street parables (feat. Lord Jamar), dont le refrain n’est autre qu’un gros sample de la phase la plus connue de cette tranche nébuleuse (« Be a witness, as I exercise my Exorcism »…).
Malgré un côté bancal un peu étouffant, cet album obscur et sauvage parvient à renouer avec la fibre de Gravediggaz des débuts, sans donner dans la pâle copie. Scientific Shabazz revient de loin, peut-être un peu tard, mais il fait son boulot de thug cramé comme il faut. Un opus qui plaira en premier lieu aux nostalgiques de la première « formation groupée » de RZA.