Thomas Savage est mort cet été, à 88 ans, alors qu’il commençait tout juste à rencontrer une réelle notoriété aux Etats-Unis grâce à la réédition de son premier livre, Le pouvoir du chien, initialement paru en 1967. Une redécouverte qui poussa la critique à l’élever au rang de chef de file des écrivains du Montana, sa région natale, laquelle a toujours été pour lui une source d’inspiration majeure, un monde qui l’a forgé et lui a fourni la matière brute qu’il lui fallait pour écrire ; un monde qui lui survit mais qu’il a offert à ses lecteurs avec toutes les figures de sa jeunesse et son appréhension du monde. Paru en 2001, La Reine de L’Idaho est avant tout un immense chant d’amour : chant d’amour à une terre, à une famille, ode aux origines, magnifique retour en arrière. C’est sa propre histoire que raconte Savage, avec une sincérité et une humilité rares. Comme dans sa famille, on trouve un lointain chercheur d’or qui a ancré la famille dans ces terres du grand ouest ; puis son fils, le beau propriétaire terrien, marié un jour à celle qui deviendra la grand-mère, exilée de son Illinois natal, venue à l’origine pour enseigner dans ces terres inconnues. Salt Lake City n’est pas loin, le ranch familial est immense. S’il y a fiction, elle est dans l’art d’agencer les mots pour brosser d’inoubliables tableaux, ou dans les tours que la mémoire joue au fil des ans. Ce qui compte vraiment, c’est néanmoins l’immortalité que Savage confère aux figures du mythe familial qui entoure le clan et lui donne sa cohésion, cette force extraordinaire de la famille fascinante : rien ne semble pouvoir atteindre ce petit monde, toujours soudé derrière la grand-mère à main de fer, l’ancienne institutrice devenue reine de son élevage de mouton, Reine de l’Idaho.
Tout peut pourtant arriver, même le plus improbable : il suffit d’une lettre, quelques mots pour ébranler les esprits et conduire à une fouille acharnée dans les souvenirs et les non-dits familiaux. Une inconnue écrit à Thomas Burton, le petit fils de la Reine de l’Idaho, écrivain au modeste succès : il apprend alors qu’il a peut-être une sœur, abandonnée à la naissance par leur mère, morte depuis longtemps. Le premier choc passé, la vérité fait son chemin ; d’immenses pans de silence s’effacent, les drames familiaux enfin élucidés rendent la paix à la mémoire des morts. Si le texte est si beau, c’est sans doute parce qu’il est extraordinairement simple, se contentant de témoigner d’une vie, d’un monde. Les mots sont des évidences, tout sonne juste. S’imaginer « lever des yeux vers des millions d’étoiles », « entendre un engoulevent plonger comme si quelqu’un, après avoir tendu une corde de violon à travers les cieux, l’avait soudain pincée » devient la chose la plus normale et surtout la plus fondamentale qui soit. Savage enferme le lecteur dans l’immensité de l’Ouest américain ; son dernier aveu, à savoir qu’ »il n’est pas vrai que les hommes adultes ne pleurent pas », de la part d’un ancien garçon de ranch du Montana, sonne comme une leçon d’humanité.