L’intrigue de Son frère tient dans le résumé que fait Luc (Eric Caravaca) à son amant : « mon frère est revenu pour me dire qu’il allait exploser ». Comment deux frères devenus presque étrangers l’un à l’autre se réapprivoisent-ils, au moment même où le corps de l’un, atteint d’une maladie incurable qui s’attaque à ses plaquettes sanguines, menace de les séparer ? Si Patrice Chéreau, qu’on a connu plus ambitieux, a pu réaliser ce film en six mois à la suite d’un projet avorté aux Etats-Unis, c’est qu’il n’a apparemment pas songé à apporter une quelconque vie cinématographique au roman déjà mince de Philippe Besson dont il est tiré. Les scènes ont beau être montées dans un savant agencement de flash-back pour montrer la dégradation du corps de Thomas (Todeschini, amaigri de douze kilos pour entrer dans la peau -sur les os- de son personnage…), elles n’offrent en définitive qu’une opposition binaire entre la sagesse de bord de mer des derniers instants de Thomas et -contraste surligné par une caméra agitée- les détails hospitaliers les plus obscènes possibles, comme une interminable séquence de rasage de Thomas avant une opération. Délaissant la direction d’acteurs, Chéreau préfère imposer aux comédiens la performance, de l’amaigrissement au rasage intégral.
Comme dans Les Corps impatients de Xavier Giannoli, une fois posée l’agonie d’un corps, il ne reste plus qu’à en dérouler les conséquences : moins le mourant agit -la moindre chute ou coupure peut l’envoyer au cimetière- plus sa passivité, de purement corporelle, influe sur les relations qu’il entretient avec Luc, et sur celles que Luc entretient avec son amant Vincent et avec l’amie de Thomas, Claire -un jeu de dominos psychologique plutôt lassant qui faisait déjà l’argument de Ceux qui m’aiment prendront le train. Un saignement de nez, et voilà les deux anciens frères ennemis qui se lancent dans une déclaration d’amour l’un à l’autre : c’est l’effet magique de la disparition des plaquettes. Au cas où l’on n’avait pas compris que, comme Thomas, tout un chacun peut « mourir n’importe quand », Vincent croit bon de rappeler à Luc : « C’est important ce que vous êtes en train de partager »… Variation macabre qui se paie le luxe de finir sur un plan rappelant Tabou de Murnau, Son frère multiplie les inserts sur les piqûres et les prises de sang, mais il reste aussi anémié esthétiquement que son protagoniste.