Alors que la comédie française ne cesse de plonger dans une franchouillardise d’un autre âge, Philippe Harel sonne le glas d’une quelconque évolution possible. En cela, sa dernière livraison est un événement absolu, une régression terminale ultra rigoriste. Rien que le titre : entre Bête mais discipliné, Une Femme peut en cacher une autre et Tu vas rire mais je quitte, le temps s’est arrêté. Mieux, il s’est contracté envoyant toutes les tentatives émancipatrices des années 90 aux oubliettes. Et pour une fois, les anti-Harel les plus fervents seront obligés de le reconnaître. Le cynisme du cinéaste dépasse ici la posture superficielle qu’on lui prête dans ses essais sérieux, tant son film en est imprégné, transformant le calibrage en une complainte suicidaire d’une rage insidieuse sans équivalent dans le cinéma français.
Le script tient dans un mouchoir de poche. Elise (Judith Godreche) est une actrice qui galère. Après avoir largué son dernier copain, elle papillonne et picole, passe d’un photographe partouzeur à un philosophe condescendant vu à la télé. Ses prestations valent le film. Que du flottant, du criard, du coloré. Bref, de la merde alimentaire, une hygiène de vie qui trouve un incroyable écho à l’actualité d’Harel lui-même, ce dernier ayant accepté le film en désespoir de cause suite à son échec dans l’adaptation des Particules élémentaires de Houellebecq. Point de départ qui infecte d’emblée Tu vas rire…. Constamment à la dérive, mal fagoté, le film saborde tout ce qu’il touche. Des clichés arty d’une soirée arrosée où Harel multiplie de grotesques arrêts sur images à l’adhésion plus que parfaite des conventions franchouillardes (tatouages malabar du photographe, panoplies intégrale du beauf, plateaux télé, discussion entre copines), le film se joue de toutes les apparences avec une soumission ultra suspecte.
Faussement con, faussement drôle, Harel finit rapidement par régler ses comptes. Au purgatoire du cinoche, il dresse un état des lieux du milieu avec une aigreur sournoise, se cachant sans cesse derrière l’outrance de Godreche et du genre. Il lui suffit de mélanger guests ringards et tendances (José Garcia a le même temps de présence que Chevalier et Laspalès), de jouer des décors (la soirée de lancement d’une grosse machine française débilitante) pour aiguiser ses pics et les balancer fourbement en fin de plan. Plus grossier encore, il finit même par s’inclure directement via une mise en abîme glauque à souhait, où il incarne le metteur en scène qui fera de son personnage un premier rôle, au moins pour un film. Dans Tu vas rire…, film constamment sur la case dernière chance, coincé au dernier degré d’une ironie qui ne s’acharne plus seulement sur les personnages, l’enfer ce n’est plus seulement les autres mais aussi le reflet de soi-même.