Malgré une production impressionnante, le cinéma indien se fraie rarement un chemin jusqu’à nos écrans. Shaji Karun, lui, jouit de la distribution quasi simultanée de deux longs métrages, Piravi (1988), sorti il y a quelques mois, et La Dernière danse. Pourtant, on ne misera pas deux roupies sur l’avenir du réalisateur, tant son dernier opus apparaît formaté à une esthétique aussi luxueuse que vaine. Coproduction française, La Denière danse possède tous les tics de la « grande œuvre européenne », c’est-à-dire du « non-film ». A l’instar de Tran Anh Hung (pour n’en citer qu’un), Karun produit un cinéma maniériste, affecté, poli, où l’obsession de la « jolie image » tient lieu de conception artistique valable. Pas de pensée, rien que du remplissage de champ, du bourrage de cinémascope : costumes traditionnels à gogo, décors chargés, couleurs vives et variées ; mais tout cela sans aucun sens plastique, aucune proposition, aucune joie même (contrairement à l’idée que l’on se fait de la super-production indienne). Les personnages vivent leur destinée tragique et bariolée, mais on s’en fout, même si tout est là pour nous faire vibrer.
Primo, un acteur de Kathakali (art spécifiquement indien se situant entre la danse et le mime : bon pour l’exotisme pseudo-culturel). Malheureusement, Kunhikuttan, le protagoniste, ressemble davantage à une drag-queen vendeuse de gouda qu’à un grand comédien inspirant le respect. Secundo, la série de malheurs qui lui tombe dessus : en tête de liste, son aventure désespérée avec une jeune femme de la haute société amoureuse de son personnage mais pas de lui. Résultat : un enfant que Kunhikuttan ne verra jamais, sans toutefois se battre véritablement pour lui (insupportable attitude apathique dépassée seulement par l’écriture, sans que cette ambivalence soit bien exploitée). Tertio : quelques paysages naturels censés évoquer la mélancolie de notre héros. En vain, le spectateur n’aspire qu’à dormir. Dernier espoir de cinéma, la dernière danse, sur laquelle semblaient reposer les enjeux dramatiques de la fiction, n’est qu’une pantomime ratée et inexpressive de plus, en aucun cas un paroxysme spectaculaire, un nœud gordien bouleversant. En résumé, Shaji Karun ne met en scène qu’un vaste et coûteux théâtre de l’indifférence généralisée.