Evidemment, ça peut faire sourire : la vie de Jésus Christ narrée en bande dessinée, qui plus est par un auteur japonais… Voilà de quoi dérouter tout autant les amateurs de manga que les grenouilles de bénitier. Pourtant, loin du didactisme ringard des ouvrages s’inspirant du Nouveau Testament, Jésus est à seconde vue un projet moins farfelu qu’il n’y paraît.
Manga doublement atypique, car en couleurs, c’est là l’oeuvre d’un des plus fameux francs-tireurs de la BD et du dessin animé japonais, Yoshikazu Yasuhiko. Chara-designer de la série TV culte Gundam (1979), et auteur du manga Arion, adapté pour l’animation en 1986 (Kaze pour l’édition française), il se consacre depuis exclusivement à la BD, manifestant une ouverture d’esprit surprenante. Il a ainsi mis en chantier une série de fresques centrées sur des figures emblématiques empruntées à la culture occidentale, dont Jeanne (également publié chez Tonkam), relecture de l’itinéraire de la Pucelle d’Orléans et reconstitution moyenâgeuse minutieuse. On retrouve dans Jésus ce même souci des enjeux stratégiques liés au contexte historique, ainsi qu’une approche distanciée du personnage-titre. C’est en effet par le biais du regard de Josué, personnage fictif de jeune charpentier devenu l’un des fidèles du Christ, que l’on perçoit l’enchaînement inéluctable d’événements qui va mener à sa crucifixion. Jésus n’intervient ici qu’au second plan, l’auteur s’attardant plutôt sur les atermoiements du jeune disciple, les figures de Marie-Madeleine, Judas l’Iscariote ou Barrabas le Zélote.
Ainsi le manga se veut-il davantage un portrait en creux du messie chrétien, dont on regrette qu’il n’ouvre la bouche que pour débiter des paroles sacrées, aux antipodes de l’approche humanisée du personnage dans La Dernière tentation du Christ de Scorsese. Beaucoup plus réaliste et audacieuse est la dépiction de son entourage, ramassis hétéroclite d’illuminés et d’aventuriers, servant des ambitions contradictoires. Et si Jésus avait été manipulé ? Restitué dans son contexte politique, le message du Christ prend une coloration révolutionnaire, sapant aussi bien l’autorité de l’occupant romain que celle des institutions religieuses juives. Séquence anthologique de ce premier volume : la bagarre provoquée dans une église par l’un de ses sermons ; l’aspect volontairement grotesque de certaines scènes et des physionomies secondaires contrastant agréablement avec l’image d’Epinal d’un Jésus beau comme un Dieu et sérieux comme un pape.
La bande dessinée de Yasuhiko évoque ainsi un autre manga consacré à une grande figure de l’histoire des religions : Bouddha d’Osamu Tezuka (Tonkam toujours). Tout comme celui-ci il y a quelques années, Jésus devrait logiquement séduire le jury du bien-pensant « Prix de la bande dessinée oecuménique » remis chaque année au moment du Festival d’Angoulême.