La déception est à la hauteur de l’attente. Il y a cinq ans, Tristan Egolf lançait en guise de premier roman un fabuleux pavé satirique dans lequel, avec un style à tomber par terre, il peignait à grand coups de rouleau la bêtise mesquine du petit peuple américain : Le Seigneur des porcheries (« Le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes », disait le sous-titre), c’étaient des centaines de pages hilarantes peuplées de rustauds alcooliques et de religieuses hystériques, de petits bourgeois hargneux et de patrons sanguinaires avec, au milieu, figure christique surdouée et bouc émissaire de toute la communauté, un héros extraordinaire dont la vengeance allait tout faire exploser. Bref : un petit chef-d’oeuvre, environné par surcroît d’une légende éditoriale qui rajoutait encore à son charme (Egolf, dont personne n’avait voulu lire le manuscrit, aurait finalement atterri chez Gallimard via Patrick Modiano, dont il avait rencontré la fille quelque part à Paris). Autant dire qu’on attendait beaucoup de Jupons et violons, deuxième roman d’un écrivain dont on avait gardé ce vif souvenir de jeune génie (il est né en 1971) excessif et quasi-miraculeux. Las : le Charlie Evans dont il nous raconte cette fois-ci l’histoire, violoniste noir résolument décidé à cesser de vivre normalement, n’a pas tout à fait la même personnalité que le John Kaltenbrunner du Seigneur des porcheries, ni ses aventures la même saveur.
Ca commence pourtant plutôt bien, avec une ouverture absurde et apocalyptique dans une salle de concert bourrée à craquer de fans de metal déchaînés. Charlie, le héros, y est envoyé à son insu en costume de scène pour y faire la première partie d’un groupe de rockeurs gothiques, avec son violon et quelques collègues. Bien entendu, la blague tourne à l’émeute, et les concertistes classiques sont fichus dehors sous les huées (« Virez-moi cette chierie de tapettes poudrées ! »). Dégoûté par ce traquenard, Charlie abandonne le violon et laisse tout tomber : il commence à boire et tombe peu à peu dans la spirale d’une vie déréglée dont Egolf raconte l’évolution. Charlie crèche dans un hôtel minable, fréquente une bande de marginaux loufoques et retrouve un vieux copain, Tinsel Greetz, anarchiste à la petite semaine en compagnie duquel il commence à faire les quatre cents coups. « Chaque fois qu’on est ensemble, il se passe quelque chose. C’est notre alchimie ». Effectivement, ça bouge. Les deux lascars sont notamment embauchés pour un travail clandestin consistant à massacrer les rats dans les égouts de la ville, la grande « Philordurie »… Si le scénario est burlesque et les personnages hauts en couleur, le roman, lui, ne tient guère la route. Loin du style irrésistible et acrobatique de son premier roman, Egolf s’essaye à une narration décousue, pleine de gimmicks sans grande utilité (son usage compulsif des italiques ne semble motivé par rien, ses jeux sur la mise en page ou sur les caractères n’ont pas beaucoup d’intérêt) et rapidement lassante. Succession d’épisodes décousus et fourre-tout où les gags succèdent aux dialogues sans rythme ni vraisemblance, Jupons et violons tient moins du grand roman comique qu’on attendait que de la petite farce improvisée sur le pouce, avec les moyens du bord. N’en reste qu’un immense sentiment de frustration et une certaine perplexité quant au sens de cette pochade inaboutie, infiniment moins convaincante qu’un premier livre dont on attend toujours, du coup, la confirmation.