Certes, Claire Legendre a fait des progrès depuis Making-of, publié à l’âge de 19 ans, et Viande, qui avait fait d’elle l’une des plus fraîches nullités de l’écurie Grasset. Dix ou quinze textes supplémentaires et autant d’années de labeur lui permettront peut-être de se hisser jusqu’au niveau de médiocrité standard du roman français contemporain, dont elle reste quoi qu’il en soit l’un des plus étonnants phénomènes : son jeune âge semble l’autoriser à publier une littérature prépubère, tendrement infantile, dans laquelle les plus attentifs pourront identifier ça et là quelques organes imparfaitement formés mais assurément prometteurs. Son Matricule a ainsi le charme fœtal des brouillons, et l’on se prend à se rêver de ce qu’il serait advenu de ces 170 pages si elle avait décidé de les écrire pour de bon ; elle s’y livre à deux ou trois expérimentations dont les émouvants échecs évoquent les premières brasses laborieuses de l’enfant dans sa pataugeoire et fuit devant son histoire comme si l’eau lui paraissait soudain trop froide.
L’histoire ? Si vous y tenez : Clémence, dentiste à l’hôpital, suscite les fantasmes de ses patients ; Joseph, après lui avoir confié ses molaires, parvient à la séduire. La suite ? Joseph veut une descendance mais se refuse obstinément à honorer Clémence. Seule solution : offrir son sperme à une autre femme, moyennant une petite branlette, quelques manipulations de laboratoire et une insémination artificielle. Cadre : les pays de l’Est, où l’on n’est pas particulièrement regardant sur l’éthique du moment que les dollars tombent. Ambiance : Claire Legendre a créé du trouble comme on décore sa chambre, avec quelques abats-jours colorés et un style faussement travaillé ; on ne doute pas une seconde de la sincérité de ses efforts, mais la pauvreté de ses moyens prive son univers de toute crédibilité. Tournures alambiquées, ponctuation douteuse, formules sèches et vaines, anglicismes de pacotille, éléments rapportés (listes, citations, définitions, protocoles), construction en petits paragraphes mal ajustés qu’elle semble avoir renoncé à lier faute de maîtriser l’ensemble : on renonce rapidement à suivre le fil de ce roman bancal et décousu, et l’on se désole par surcroît de ne même pas y trouver un bon devoir de grammaire. Claire Legendre singe Lorette Nobécourt et consorts comme les petites filles se griment en dames du monde, avec des chaussures à talons trop grandes pour elles et les lèvres barbouillées d’un rouge triste. Ses thèmes (la chair, les mystères de la création et ses détournements, prétextes idéaux pour digressions trash) sont contournés plus que traités, ses personnages s’évanouissent à force d’inconsistance, sa langue est charmante de naïveté ; Matricule ou la littérature caprice, écrite au feutre mou sur cahier à gros carreaux. A la récréation, Claire Legendre est sûrement une fille charmante.