Garbarek, Corea, McLaughlin et DeJohnette, réunis sous la houlette de l’ex-Weather Report Miroslav Vitous dans le Rainbow Studio du label ECM : l’affiche est proprement éblouissante et, partant, suscite un brin de méfiance chez le jazzfan, souvent déçu par la poudre aux yeux des all-stars bands trop bien marketés. La longue histoire commune des cinq musiciens fait néanmoins de ce disque une sorte de post-scriptum magistral à la bouillonnante époque de leur explosion au grand jour (les années 60 et 70) et de leurs premières expériences croisées dans le champ du jazz et des musiques contemporaines, dans et autour du magma novateur des groupes de Miles Davis, auxquels quatre d’entre eux ont d’ailleurs participés. C’est à son album de 1969, Infinite search, que songeait Vitous lorsqu’il eut l’idée de réunir à nouveau la guitare de John McLaughlin et la batterie de Jack DeJohnette. D’innombrables carrefours musicaux ont vu la rencontre de leurs trajectoires respectives durant ces années là : Vitous, Corea, McLaughlin et DeJohnette dans le Super Nova de Wayne Shorter ; Vitous et DeJohnette avec le guitariste norvégien Terje Rypdal ; Corea et Vitous avec Roy Haynes (le célèbre Now he songs, now he sobs de 1968, suivi quelques années plus tard par le groupe « Trio Music ») ; Garbarek et McLaughlin autour du percussionniste Zakir Hussain dans le nom moins célèbre Making music…
Bref, ces retrouvailles inattendues donnent finalement l’impression de n’être que le prolongement naturel, trop longtemps retardé, d’une communauté d’inspiration et d’histoires personnelles à laquelle Vitous, concernant son rapport au saxophoniste Jan Garbarek, a toujours ajouté une complicité liée à une même « émotivité slave » (Vitous est tchèque, Garbarek à moitié polonais) et à des racines folkloriques communes. La considérable dimension de chacun des musicien aurait pu pousser leur réunion du côté du combat de titans : Universal syncopations, au contraire, ressemble à tout sauf à la démonstration vaguement fraternelle qu’on aurait pu craindre, la musique acquerrant dès les premières secondes une respiration et une altitude tout à fait étonnantes. Sens de l’espace (le premier thème, arrangé comme tous les autres par le contrebassiste, ne donne pas à entendre le quintet attendu mais un trio basse, batterie saxophone), qualité exceptionnelle de la prise de son (on a l’impression d’entendre le moindre frémissement de la caisse claire et des cymbales), sobre aisance de la basse du « leader » (les guillemets s’imposent ici) et, surtout, refus absolu du trop-plein et des mauvaises graisses font toute la qualité de cette musique aérienne et envoûtante. Un trio de cuivres (Wayne Bergeron, Valerie Ponomarev et Isaac Smith) vient ajouter une couleur supplémentaire sur deux des neuf thèmes, enchaînés et mis en forme avec un art de la construction consommé. L’enregistrement et la production de Universal syncopations se sont étalés sur une durée de plus de deux ans. L’album y a gagné une manière de perfection formelle et sonore sans rien perdre en spontanéité.