Régression, signes des temps, excroissance logique de notre période nombriliste et post-post-moderne, recrudescence des cas d’egotrip assumé, réapparition du jeu du « je » dans la musique électronique : c’est la crise et ça s’entend à tous les niveaux des concepts albums qui fleurissent un peu partout en cette période où peu se permettent encore de produire sans référent. John Oswald avait raison, on ne crée plus aujourd’hui sans s’inscrire dans le bruit du monde, qui a définitivement gagné. Outre le cas de l’album de reprises, idéal exercice d’autoportrait en creux, c’est les galettes d’archives qui se multiplient aujourd’hui, éloignant encore un peu plus l’acte du musicien de toute velléité intentionnelle et assumée. Gadget utilitaire ou oeuvres crédibles ? On ne s’étendra ici pas plus sur le propos du principe, mais disons juste qu’une bonne idée cryptoludique ne donne pas forcément un bon disque. Les bons musiciens, eux par contre, sont souvent à l’origine de bons disques et de bonnes idées, et ça, ça reste un fait indéniable. Preuve par deux (CD sur Skipp, vynil sur A-Musik) avec ce nouveau disque de Felix Kubin qui, vous l’aurez donc compris, n’en est pas vraiment un, puisqu’il rassemble des oeuvres composées et enregistrées par l’allemand génial entre… 16 et 11 ans.
The Tetchy teenage tapes est pourtant, et immédiatement, bien plus qu’un document, et sa sortie est motivée, c’est évident, par une réelle cohérence artistique. Car c’est étonnant, et un fait probablement rarissime, mais l’univers rétrofuturiste et hautement étrange de Kubin existait déjà à l’orée de son adolescence. Combien d’icônes electronica pratiquait à peine la guitare sèche à cet âge indécis ? Toute la musique de l’allemand, ou presque, est contenue en graine plus ou moins germée, dans ces enregistrements délirants. L’ado Kubin y chante et parle de sa voix pré-pubère, le son est parfois limite, mais c’est probablement les seules choses qui ont vraiment changé depuis : le synthé Korg est le même, la boîte à rythme aussi, et surtout, les empreintes mélodiques et esthétiques sont déjà hautement reconnaissables. Electro-pop dissonante, mélopées pré-industrielles et robotiques, space-pop antédiluviennes, basslines en formes de course-poursuites cinématiques, miniatures dadaïstes traversent le disque comme autant de missiles V2 en provenance du futur connu de Kubin. Quid des paroles et de l’univers passionnant de l’allemand -comme il l’explique, il s’agissait déjà à l’époque d’aller à l’encontre des formes préétablies de la pop music, d’être les « monster kids » de « monster times ».
On oublie vite avoir affaire à un disque d’archives, encore plus celui d’un ado dérangé. Les notes de pochettes, pourtant, méritent toute notre attention : Kubin y explique comment un petit groupe d’amis s’est vite cristallisé autour de ses premières expériences soniques, comment l’émulation a donné naissance à une véritable génération morte-née de musiciens expérimentaux juvéniles (qui aurait dû aboutir à la sortie d’un album sur le label Zick-Zack), comment une visite médicale a failli faire passer Kubin de l’autre côté aux yeux de ses parents inquiets. Mais ce qui subsiste sans aucun doute, c’est que Kubin, avant d’être un gamin dérangé, était avant tout un gamin génial. Et c’est à ce titre que cette compilation est résolument passionnante, au delà de tout contexte et de tout concept foireux.