Au commencement était l’entreprise. Boris (Mathieu Amalric), cinéaste méconnu, et Marilyne (Hélène Fillières), cadre dans un bureau, se connaissent à peine qu’on les aperçoit déjà chantant sur fond de décor champêtre et de voix-off lyrique. L’artificialité du ton, entre poésie et publicité, nous indique qu’il ne s’agit là « que » d’un film dans le film, et plus exactement d’un film d’entreprise. Boris plaît à Marilyne, qu’il a filmée sans qu’elle le sache sur son lieu de travail, mais les commanditaires de cet outil de communication (enfin, c’est ce que le film devrait être) ne sont pas vraiment fans de Jacques Demy. De retour dans son 2 mètres carrés parisien, Boris y tourne une histoire d’amour elle aussi musicale avec pour jeune première sa petite amie Josepha… Hélas ce n’est que le parallèle calamiteux du film de commande (les Larrieu ne sont pas tendres avec la pseudo-valeur du petit cinéaste torturé). La non-actrice du premier film est déjà star, tandis que Josepha sent qu’elle s’est trompée de casting… Fin de règne, donc.
Un Homme, un vrai ne cesse d’accumuler, dès son début, les ruptures, présentées comme prometteuses. Le tour de force de son écriture tient à son inversion de l’ordre dans l’approche amoureuse : parade, attente, acte sexuel, mariage, enfants… à grands coups d’ellipses, on brûle les étapes, l’intérêt étant non l’événement mais la gestion de l’entre-deux, une fois les déclarations faites. Dans une magnifique scène, Marilyne chamboule l’ordre chronologique en invitant Boris à une soirée quelques heures après leur rencontre, nue jusqu’à la taille comme par inadvertance, lui demandant innocemment de l’aider à fermer sa robe. Ce qui eût été déshabillage dans un scénario classique tient ici du rhabillage. D’abord glabre, Boris se rebaptise Ris, guide de montagne barbu puis en motard héroïque, tandis que Marilyne, Fregoli en maillot de bain, tailleur ou anorak, semble incarner la série des livres pour enfant Martine : Marilyne à Ibiza, Marilyne à la montagne, Marilyne à l’aéroport… Les déguisements et les apparitions-disparitions des personnages ne sont pas des travestissements mais de fines pellicules protectrices que l’on pèle soi-même pour se montrer ou que l’on superpose pour changer de vie. Le film, une odyssée en somme, s’amuse aussi à traverser d’un pas léger les différents genres, film animalier, comédie musicale, aventures, comédie hollywoodienne du remariage surtout. Et si l’amour n’était que cela, la remémoration des films d’amour, ce que Au plus près du paradis de Tonie Marshall disait autrement ? Dans cette gaie traversée, seuls demeurent inchangés ce qui habituellement vieillit le plus : les corps. Les Larrieu dénudent ceux de leurs acteurs et avec eux, leurs voix, tout aussi nues dans les scènes chantées composées par Philipe Katerine. Il y a quelque chose de bouleversant à entendre Amalric et Fillières fredonner en son direct dans une maison de montagne au plancher qui craque C’est encore la première fois avec des voix dont on devine que pour elles, chanter, c’est effectivement encore une première fois…