Rien à faire, ils auront beau redoubler d’efforts, sortir des chefs-d’oeuvre par milliers, les petits français qui ne font pas de la chanson française souffriront toujours d’un déficit de confiance. Pas de confiance en soi, non, en tout cas pas au début, mais plutôt dans la tête de leurs susceptibles auditeurs, et je l’avoue, un peu dans la mienne. Bref, les préjugés ont la peau dure, et je suis à peu près certain que je me serais précipité sur ce nouveau disque de NLF3 si le groupe avait été chicagoan ou berlinois. Au lieu de quoi, je l’ai un peu mis à l’écart, j’ai fait traîner la première écoute, et les a priori quant aux lacunes d’originalité, de sincérité, et de potentiel à offrir autre chose qu’un produit culturel inférieur ne m’ont pas encore tout à fait quitté. Bien entendu, ce sentiment n’est pas ici justifié, et je fais ici plus qu’un mea culpa. Je veux vous parler d’un très bon disque, le nouvel album de NLF3[trio].
Cette super cellule d’improvisation formé par trois pontes de l’excellent label indie Prohibited aime les petite mélodies vrille-têtes, qu’elle déglutit à force de tourner les boutons de ses machines et vieux synthés dans tous les sens, puis organise en de mini-grooves obsessionnels et pleins de tension. Tensions rarement accouchées, qualité très rare en musique et preuve irréfutable de maturité (on retrouve un stratagème similaire chez To Rococo Rot, Bitches brew de Miles Davis, et Shellac, trois noms pas vraiment cités au hasard). NLF3[trio] fait donc de l’anti post machin, n’aime pas les montées de sang factice à la Godspeed You ! Black Emperor. Et, s’il aime à citer l’afrobeat et le jazz électrique des 70’s, le groupe évite tous les écueils esbroufe un peu crâneurs qui plombent par exemple la musique du cousin Doug Scharin. Sur ce nouveau Viva !, le groupe impressionne immédiatement : la petite ritournelle onirique et rêveuse de Hihahaha land, en ouverture, aborde des airs de classique, magnifié par des choeurs qui tombent de manière idéale au moment où on ne les attend pas. Les dix-huit morceaux s’enchaînent ensuite avec rapidité et délicatesse, et c’est le disque dans son ensemble qui fait front contre les a priori, plein de pics et de creux qui gardent les sens en éveil sans les bousculer. Running the sun, plus inquiétant, annonce les glissandi radieux de guitare de Screenrise, le très concentré My horses never run embrasse les boucles entêtantes de Coffee or tea, et, si l’on pourrait parfois regretter que quelques morceaux restent un peu à l’état de boucle-ébauche (on rêverait de voir Red yellow and black ou John C. and Jlg on a boat se muer en d’interminables impros prog, mais on a mauvais goût), la structure policée et impeccable du disque impose plus que le respect, elle force l’admiration.
D’un sample passé dans le disque dur de l’ordinateur à des claps de main, d’une batterie aérienne à une flûte pygmée, NLF3[trio] se permet tout, les grooves immédiats et les jolies scènes de cinéma, évite les écueils et embrasse même par intermittence la perfection. Allez, je retourne à mes démons : pas mal, pour des petits français…