« Après Beauté volée, à quoi aurons nous droit ? » Les fans du Dernier tango à Paris, les nostalgiques de La Luna avaient d’excellentes raisons d’appréhender la sortie de Shanduraï. Car, si depuis près de 15 ans Bertolucci prend plaisir à cogner de plus en plus durement, avec des films dont la médiocrité va crescendo, sur le crâne de tous ceux qui croyaient en lui, il semble, en ce jour, nous avoir, tel Nostradamus, décrétés mûrs pour l’apocalypse.
Shanduraï, reprenant le thème du huis clos amoureux traité dans Le dernier Tango…, ferme pathétiquement la boucle Bertolucci : à la splendide histoire de sexe et de mort vécue par Marlon Brando et Maria Schneider, Bertolucci substitue une déplorable amourette aseptisée, aussi vaguement romantique que franchement bien pensante. Celle-ci prend place dans un vieux palais, au cœur de Rome : elle est une jeune Africaine nommée Shanduraï, qui a fuit la dictature de son pays après l’incarcération de son mari ; lui, Kinsky (évidemment tout l’inverse), est un jeune musicien anglais d’une famille aisée, retranché de manière quasi autistique dans le monde de la musique. Chaque jour Shanduraï fait le ménage chez Kinsky, sans s’apercevoir que son employeur bave d’envie de la posséder et se déchaîne avec emphase et frénésie sur son piano histoire de bien le lui faire comprendre. Quand enfin, découragé, il se décide à déclarer verbalement sa flamme (une des scènes les plus affligeantes du film), il essuie le refus net de Shanduraï. Persévérant, il lâche au passage un « je ferais tout pour vous, tout ! ». Shanduraï le prend au mot, et le met au défi de faire sortir son mari de prison. Kinsky, sonné, obéira secrètement à sa muse, en vendant tout ce qu’il possède afin de soudoyer les institutions Africaines : inévitablement, il vendra son piano, libérera le mari, et séduira Shanduraï. Scénario affligeant, mais il y a pire…
Pour nous conter cette histoire niaise et démago, Bertolucci a jugé nécessaire de déployer pour la première fois une armada d’effets audiovisuels totalement aberrants et fastidieux. Se sentant brusquement des affinités avec Wong Kar-Waï, le cinéaste Italien a voulu se refaire une santé en filmant son héroïne façon jeune cinéma branché en quête de style : le film n’est au final qu’une succession de jump cuts incohérents, de raccords nerveux dans l’axe, de supers gros plans ou de ralentis insupportables, qui n’ont pour but commun que de capter la beauté de la jeune Thandie Newton, par ailleurs très mauvaise actrice. Shanduraï est le plus mauvais film de Bertolucci. Tant mieux. Cette fois le deuil est fait.