Les nouvelles écoles des musiques concrète et post-industrielle nous le serinent depuis presque dix ans maintenant : le silence peut être une composante majeure de la musique tout court. Dans le sillon ultra-minimaliste des pionniers Bernhard Günter (textures du silence) et Francisco Lopez (espaces du silence), ils sont quelques uns aujourd’hui à magnifier un propos paradoxal mais passionnant de l’art sonore et à permuter les milles et unes possibilités de ce silence dans tous les sens, à épuiser ses natures structurelle et sonique, voire à le brandir comme un étendard. Parfois théorique -c’est là que le silence nous fatigue-, parfois esthétique, c’est là qu’il nous passionne.
Jason Lescalleet est pile poil entre ces deux pôles, et concentre sur son premier effort solo tout ce qui peut agacer et tout ce qui peut exciter dans ces musiques de l’extrême. Son Mattresslessness au titre équivoque (absence de matelas) n’est pas un disque facile, loin de là, mais sa difficulté semble moins affaire de pose que dictée par la difficulté de son propos et de ses matières sonores arides : il fait partie de ces disques qu’il faut accoucher à force d’écoutes prolongées et concentrées, et demandent une participation active de l’auditeur. En cela, il prolonge à nouveau le travail de l’allemand Bernhard Günter, qui accompagne ses compositions ultra silencieuses d’un motto précieux, « what you hear is what you get » (ce que vous entendez c’est ce que vous arrivez à trouver). Au premier abord, les vertus soniques de ce disque sont d’ailleurs discutables : comparé au incroyable constructions psycho-acoustiques d’un Zbigniew Karkowski (proche de Mego, entre autres), il pourrait même faire office de parent pauvre. Mais ce serait mal comprendre la démarche et le leitmotiv du garçon, qui restreint son matériel pour mieux le maîtriser. On trouve donc moult fréquences infrabasses et ultra aiguës très pures, très éprouvées dans le domaine de l’audio art ces dernières années. Mais Lescalleet n’hésite pas à les faire quasiment disparaître (Clay tapes) histoire de provoquer l’ambiguïté (elle est là ? elle est pas là ?) et la stupéfaction. Il affectionne également les matériaux analogiques à peine détournés, les vraies matières concrètes, qui s’échappent du néant comme autant de paradoxes mouvants et provoquent même parfois des accouchements mélodiques (ineinandergreifen-08 dezember 1912). Enfin, il vient des musiques improvisées et jouées, et on le sent plus prompt à provoquer l’émoi qu’à organiser ses matières soniques selon des principes prédéterminés et abscons. Le solo de saturation qu’est Straight no chaser devrait donc en surprendre plus d’un.
Bref, tout ça pour dire que derrière ses dehors sérieux et des amitiés avouées à ses maîtres évidents (il dédicace ses morceaux à Francisco Lopez, Achim Wollscheid, John Hudak ou Gert-Jan Prins), le garçon a des choses à dire, ne s’encombre d’aucun concept foireux, et fait montre de suffisamment d’enthousiasme pour faire passer la pilule de certains travers de sa musique pas facile. A découvrir.